Page:Duhem - ΣΩΖΕΙΝ ΤΑ ΦΑΙΝΟΜΕΝΑ.djvu/78

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ment ; elle est une possibilité, toujours susceptible d’un nouveau développement. En sorte que du vrai nous ne savons rien, sinon que nous ne pouvons le comprendre.

Quelle conclusion devons nous tirer de là ? « Que l’essence même des choses, qui est la véritable nature des êtres, ne saurait être, par nous, atteinte on sa pureté. Tous les philosophes l'ont cherchée ; aucun ne l'a trouvée. Plus profondément nous serons instruits de cette ignorance, plus nous approcherons de la vérité même.»

Quelle est donc la perfection que doit rechercher l'homme d’études ? C’est d’être le plus savant possible en cette ignorance, qui est son état propre.« i1 sera d’autant plus savant qu’il se connaîtra plus ignorant. »

Proclus avait distingué deux Physiques. L’une se proposait de connaître l’essence et les causes des choses sublunaires, et celle-ci était accessible à l’homme. L’autre avait pour objet la nature des choses célestes, et celle-là était réservée à l’Intelligence divine.

Nicolas de Cues attribue aux astres une nature toute semblable à celle des quatre éléments ; pour lui donc, la distinction établie par Proclus perd tout sens ; il continue cependant à discerner deux Physiques, mais il les oppose l'une à l'autre d’une manière toute nouvelle.

L’une de ces Physiques est la connaissance des essences et des causes. Elle vérifie la définition que l’École imposait à tout savoir : Scire per causas. Nécessairement parfaite et immuable, elle est inaccessible à l'homme, elle est la Science de Dieu.

L’autre est radicalement hétérogène à la première, comme le polygone est hétérogène au cercle. Elle ignore les véritables causes et les véritables essences. Si elle prononce ces mots, elle ne pourra les appliquer qu’à des causes hypothétiques et à des essences fictives, créations de la raison et non point réalités. La Physique ainsi construite va sans cesse se perfectionnant ; en son développement, elle a la Physique des essences et des causes pour limite, mais pour limite qu’il lui est à jamais interdit d’atteindre. Cette Physique des fictions et des abstractions est la seule qui soit accessible à l’homme.