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figurer à l’imagination la marche des étoiles ou des planètes ; ces hypothèses ne sont pas des vérités, mais seulement des traces, des vestiges, des simulacres de la vérité ; Dieu voit les cieux réels et leur marche ; l'astronome conduit ses constructions géométriques et ses calculs à l'aide de cieux imaginaires.

En ces pensées de Lefèvre d’Étaples, il semble que l'on retrouve un lointain souvenir des idées de Proclus ; peut-être est-il permis d’y reconnaître aussi l’influence de Nicolas de Cues, dont Lefèvre d’Étaples était l’admirateur et le disciple, et dont il allait bientôt éditer les œuvres. Les caractères, en effet, que le savant érudit attribue aux théories astronomiques s’accordent fort bien avec ceux dont le célèbre cardinal marquait toute connaissance humaine.

Voici les principes[1] que Nicolas de Cues posait au début de son ouvrage fondamental, de ce De docta ignorantia dont ils expliquent et justifient le titre :

Il est impossible qu’une intelligence finie puisse s’assimiler aucune vérité précise. Le vrai n’est pas, en effet, une chose qui soit susceptible de plus ou de moins ; il consiste essentiellement en quelque chose d’indivisible ; et ce quelque chose ne peut être saisi par un être, si cet être n’est la vérité même. De même, l’essence du cercle est quelque chose d’indivisible, et ce qui n’est pas cercle ne peut s’assimiler ce quelque chose ; le polygone régulier que l’on inscrit dans un cercle n’est pas semblable au cercle ; il lui ressemble d’autant plus que l’on multiplie davantage le nombre de ses côtés ; mais on a beau multiplier indéfiniment ce nombre, jamais le polygone ne devient égal au cercle ; aucune figure ne peut être égale à ce cercle, si ce n’est ce cercle lui-même.

Ainsi en est-il, à l’égard de la vérité, de notre intelligence, qui n’est pas la vérité même ; jamais elle ne saisira la vérité d’une manière si précise qu’elle ne la puisse saisir d’une manière plus précise encore, et cela indéfiniment.

Le vrai s’oppose donc, en quelque sorte, à notre raison ; il est une nécessité qui n’admet ni diminution, ni accroisse-

  1. Nicolai De Cusa, De docta ignorantia, lib. I, capp. I et III.