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THÉORIES ABSTRAITES ET MODÈLES MÉCANIQUES

Nous les reconnaîtrons, tout d’abord, partout où nous trouverons l’esprit de finesse ; car l’esprit de finesse, que nous décrit Pascal, consiste essentiellement en l’aptitude à voir clairement un très grand nombre de notions concrètes, à en saisir à la fois l’ensemble et les détails. « Dans l’esprit de finesse[1], les principes sont dans l’usage commun et devant les yeux de tout le monde. On n’a que faire de tourner la tête ni de se faire violence. Il n’est question que d’avoir bonne vue, mais il faut l’avoir bonne ; car les principes sont si déliés et en si grand nombre, qu’il est presque impossible qu’il n’en échappe. Or, l’omission d’un principe mène à l’erreur ; ainsi, il faut avoir la vue bien nette pour voir tous les principes… On les voit à peine, on les sent plutôt qu’on ne les voit ; on a des peines infinies à les faire sentir à ceux qui ne les sentent pas d’eux-mêmes ; ce sont choses tellement délicates et si nombreuses, qu’il faut un sens bien délicat et bien net pour les sentir, et juger droit et juste selon ce sentiment, sans pouvoir le plus souvent les démontrer par ordre comme en géométrie, parce qu’on n’en possède pas ainsi les principes et que ce serait une chose infinie que de l’entreprendre. Il faut tout d’un coup voir la chose d’un seul regard, et non par progrès de raisonnement, au moins jusqu’à un certain degré. »

« … Les esprits fins, ayant ainsi accoutumé à juger d’une seule vue, sont si étonnés quand on leur présente des propositions où ils ne comprennent rien, et où pour entrer il faut passer par des définitions et des

  1. Pascal : Pensées, édition Havet, art. 7.