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l’objet de la théorie phvsique

au nombre des esprits amples, mais faibles ; ce rapprochement n’est pas une des moindres preuves de sa pénétration.

Sans doute, toute branche des mathématiques traite de concepts qui sont des concepts abstraits au plus haut point ; c’est l’abstraction qui fournit les notions de nombre, de ligne, de surface, d’angle, de masse, de force, de pression ; c’est l’abstraction, c’est l’analyse philosophique, qui démêlent et précisent les propriétés fondamentales de ces diverses notions, qui énoncent les axiomes et les postulats ; c’est la déduction la plus rigoureuse qui s’assure que ces postulats sont compatibles et indépendants, qui patiemment, dans un ordre impeccable, déroule la longue chaîne de théorèmes dont ils sont gros. À cette méthode mathématique nous devons les chefs-d’œuvre les plus parfaits dont la justesse et la profondeur d’esprit aient doté l’humanité, depuis les Éléments d’Euclide et les traités d’Archimède sur le levier ou sur les corps flottants.

Mais précisément parce que cette méthode fait intervenir presque exclusivement les facultés logiques de l’intelligence, parce qu’elle exige au plus haut degré que l’esprit soit fort et juste, elle paraît extrêmement laborieuse et pénible à ceux qui l’ont ample mais faible. Aussi les mathématiciens ont-ils imaginé des procédés qui substituent à cette méthode purement abstraite et déductive une autre méthode où la faculté d’imaginer ait plus de part que le pouvoir de raisonner. Au lieu de traiter directement des notions abstraites qui les occupent, de les considérer en elles-mêmes, ils profitent de leurs propriétés les plus sim-