Page:Duhem - La Théorie physique, 1906.djvu/19

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apparence sensible pour saisir la réalité physique. Par exemple, les recherches de Newton sur la dispersion de la lumière nous ont appris à décomposer la sensation que nous fait éprouver un éclairement tel que celui qui émane du soleil ; elles nous ont enseigné que cet éclairement est complexe, qu’il se résout en un certain nombre d’éclairements plus simples, doués, chacun, d’une couleur déterminée et invariable ; mais ces éclairements simples ou monochromatiques sont les représentations abstraites et générales de certaines sensations ; ce sont encore des apparences sensibles ; nous avons dissocié une apparence compliquée en d’autres apparences plus simples ; mais nous n’avons pas atteint des réalités, nous n’avons pas donné une explication des effets colorés, nous n’avons pas construit une théorie optique.

Ainsi donc, pour juger si un ensemble de propositions constitue ou non une théorie physique, il nous faut examiner si les notions qui relient ces propositions expriment, sous forme abstraite et générale, les éléments qui constituent réellement les choses matérielles ; ou bien si ces notions représentent seulement les caractères universels de nos perceptions.

Pour qu’un tel examen ait un sens, pour qu’on puisse se proposer de le faire, il faut, tout d’abord, que l’on regarde comme certaine cette affirmation : Sous les apparences sensibles que nous révèlent nos perceptions, il y a une réalité, distincte de ces apparences.

Ce point accordé, hors duquel la recherche d’une explication physique ne se concevrait pas, il n’est pas possible de reconnaître que l’on a atteint une semblable explication, tant que l’on n’a pas répondu à cette