Page:Duhem - La Théorie physique, 1906.djvu/206

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
196
la structure de la théorie physique

Sans doute, les savants auxquels nous devons la Physique moderne ne pouvaient pardonner aux philosophes scolastiques leur répugnance à discourir des lois naturelles en langage mathématique : « Si nous savons quelque chose, s’écriait Gassendi[1], nous le savons par les Mathématiques ; mais de la vraie et légitime science des choses, ces gens-là n’ont cure ! Ils ne s’attachent qu’à des vétilles ! »

Mais ce grief n’est pas celui que les réformateurs de la Physique font le plus souvent et le plus vivement valoir contre les docteurs de l’École. Ce dont ils les accusent par-dessus tout, c’est d’inventer une qualité nouvelle chaque fois qu’un phénomène nouveau frappe leur regard ; d’attribuer à une vertu particulière chaque effet qu’ils n’ont ni étudié, ni analysé ; de s’imaginer qu’ils ont donné une explication là où ils n’ont mis qu’un nom et de transformer ainsi la science en un jargon prétentieux et vain.

« Cette manière de philosopher, disait Galilée [2], a, selon moi, une grande analogie avec la manière de peindre qu’avait un de mes amis ; avec de la craie, il écrivait sur la toile : Ici, je veux une fontaine avec Diane et ses nymphes, ainsi que quelques lévriers ; là, un chasseur avec une tête de cerf ; plus loin, un bocage, une campagne, une colline ; puis il laissait à l’artiste le soin de peindre toutes ces choses et s’en allait convaincu qu’il avait peint la métamorphose d’Actéon ; il n’avait mis que des noms. » Et Leibniz[3]

  1. Gassendi : Exercitationes paradoxicae adversus Aristotelicos. Exercitatio I.
  2. Galilée : Dialogo sopra i due massimi sistemi del mondo. Giornata terza.
  3. Leibniz : Œuvres, édition Gerhardt, t. IV, p. 434.