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la structure de la théorie physique

Le sens que les chimistes attribuent au mot corps simple a subi une transformation analogue.

Pour un péripatéticien, seuls, les quatre éléments, le feu, l’air, l’eau, la terre, méritaient le nom de corps simples ; tout autre corps était complexe ; tant qu’on ne l’avait pas dissocié jusqu’à séparer les quatre éléments qui pouvaient entrer dans sa composition, l’analyse n’avait pas atteint son terme. Un alchimiste savait également que la science des décompositions, l’art spargyrique, n’avait point atteint le but ultime de ses opérations tant que n’étaient point séparés le sel, le soufre, le vif-argent et la terre damnée, dont l’union compose tous les mixtes. L’alchimiste et le péripatéticien prétendaient l’un et l’autre connaître les marques qui caractérisent d’une manière absolue le véritable corps simple.

L’École de Lavoisier a fait adopter par les chimistes[1] une notion toute différente du corps simple ; le corps simple, ce n’est pas le corps qu’une certaine doctrine philosophique déclare indécomposable ; c’est le corps que nous n’avons pu décomposer, le corps qui a résisté à tous les moyens d’analyse employés dans les laboratoires.

Lorsqu’ils prononçaient le mot : élément, l’alchimiste et le péripatéticien affirmaient orgueilleusement leur prétention à connaître la nature même des matériaux qui ont servi à construire tous les corps de l’univers ; dans la bouche du chimiste moderne, le même

  1. Le lecteur désireux de connaître les phases par lesquelles a passé la notion de corps simple pourra consulter notre écrit : Le Mixte et la Combinaison chimique. Essai sur l’évolution d’une idée, Paris, 1902. IIe partie, c. i.