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déduction mathématique et théorie physique

Ainsi, tandis que les contours de l’image sont arrêtés par un trait d’une précise dureté, les contours de l’objet sont flous, enveloppés, estompés. Il est impossible de décrire le fait pratique sans atténuer, par l’emploi des mots à peu près, ce que chaque proposition a de trop déterminé ; au contraire, tous les éléments qui constituent le fait théorique sont définis avec une rigoureuse exactitude.

De là cette conséquence : Une infinité de faits théoriques différents peuvent être pris pour traduction d’un même fait pratique.

Dire, par exemple, dans l’énoncé du fait théorique, que telle ligne a une longueur de 1 centimètre, ou de 0cm,999, ou de 0cm,993, ou de 1cm,002, ou de 1cm,003, c’est formuler des propositions qui, pour le mathématicien, sont essentiellement différentes ; mais c’est ne rien changer au fait pratique dont le fait théorique est la traduction, si nos moyens de mesure ne nous permettent pas d’apprécier les longueurs inférieures au dixième de millimètre. Dire que la température d’un corps est 10°, ou 9° 99, ou 10° 01, c’est formuler trois faits théoriques incompatibles ; mais ces trois faits théoriques incompatibles correspondent à un seul et même fait pratique, si la précision de notre thermomètre n’atteint pas au cinquantième degré.

Un fait pratique ne se traduit donc pas par un fait théorique unique, mais par une sorte de faisceau qui comprend une infinité de faits théoriques différents ; chacun des éléments mathématiques qui se réunissent pour constituer un de ces faits peut varier d’un fait à l’autre ; mais la variation dont chacun de ces éléments est susceptible ne peut excéder une certaine