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déduction mathématique et théorie physique

la pression, nous changerons aussi la valeur numérique du point de fusion.

Or, selon ce que nous avons vu au § Ier si l’on se donne d’une manière concrète les conditions d’une expérience, on ne pourra pas les traduire par un fait théorique déterminé sans ambiguïté ; on devra leur faire correspondre tout un faisceau de faits théoriques, en nombre infini. Dès lors, les calculs du théoricien ne présageront pas le résultat de l’expérience sous forme d’un fait théorique unique, mais sous forme d’une infinité de faits théoriques différents.

Pour traduire, par exemple, les conditions de notre expérience sur la fusion de la glace, nous ne pourrons pas substituer au symbole de la pression une seule et unique valeur numérique, la valeur 10 atmosphères, par exemple ; si l’erreur que comporte l’emploi de notre manomètre a pour limite le dixième d’atmosphère, nous devrons supposer que puisse prendre toutes les valeurs comprises entre 9atm,95 et 10atm,05. Naturellement, à chacune de ces valeurs de la pression, notre formule fera correspondre une valeur différente du point de fusion de la glace.

Ainsi les conditions d’une expérience, données d’une manière concrète, se traduisent par un faisceau de faits théoriques ; à ce premier faisceau de faits théoriques, le développement mathématique de la théorie en fait correspondre un second, destiné à figurer le résultat de l’expérience.

Ces derniers faits théoriques ne pourront nous servir sous la forme même où nous les obtenons ; il nous les faudra traduire et mettre sous forme de faits pratiques ; alors seulement nous connaîtrons vraiment le