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la structure de la théorie physique

n’est pas un langage technique semblable à celui qu’emploient les divers arts et les divers métiers ; il ressemble au langage technique en ce que l’initié le peut traduire en faits ; mais il en diffère en ce qu’une phrase donnée d’un langage technique exprime une opération déterminée accomplie sur des objets concrets bien définis, tandis qu’une phrase du langage physique peut se traduire en faits d’une infinité de manières différentes.

À ceux qui insistent, avec M. Le Roy, sur la part considérable de l’interprétation théorique dans l’énoncé d’un fait d’expérience, M. H. Poincaré[1] a opposé l’opinion même que nous combattons en ce moment ; selon lui, la théorie physique serait un simple vocabulaire permettant de traduire les faits concrets en une langue conventionnelle simple et commode. « Le fait scientifique, dit-il[2], n’est que le fait brut énoncé dans un langage commode. » Et encore[3] : « Tout ce que crée le savant dans un fait, c’est le langage dans lequel il l’énonce. »

« Quand j’observe un galvanomètre[4], si je demande à un visiteur ignorant : le courant passe-t-il ? il va regarder le fil pour tâcher d’y voir passer quelque chose. Mais si je pose la même question à mon aide qui comprend ma langue, il saura que cela veut dire : le spot[5] se déplace-t-il ? et il regardera sur l’échelle. »

  1. H. Poincaré : Sur la valeur objective des théories physiques (Revue de Métaphysique et de Morale, 10° année, 1902, p. 263).
  2. H. Poincaré : Loc. cit., p. 272.
  3. H. Poincaré : Loc. cit., p. 273.
  4. H. Poincaré: Loc. cit., p. 270.
  5. On nomme ainsi la tache lumineuse qu’un miroir, fixé à l’aimant du galvanomètre, renvoie sur une règle divisée transparente.