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la structure de la théorie physique

faire disparaître ce désaccord, il faudra reprendre la formule des actions capillaires, la modifier et la compléter en tenant compte des charges électriques que portent les particules du fluide et des forces qui s’exercent entre ces particules électrisées. Ainsi se continuera indéfiniment cette lutte entre la réalité et les lois de la Physique ; à toute loi que formulera la Physique, la réalité opposera, tôt ou tard, le brutal démenti d’un fait ; mais, infatigable, la Physique retouchera, modifiera, compliquera la loi démentie, pour la remplacer par une loi plus compréhensive, où l’exception soulevée par l’expérience aura, à son tour, trouvé sa règle.

C’est par cette lutte incessante, c’est par ce travail qui, continuellement, complète les lois afin d’y faire rentrer les exceptions, que la Physique progresse ; c’est parce qu’un morceau d’ambre frotté de laine mettait en défaut les lois de la Pesanteur que la Physique a créé les lois de l’Électrostatique ; c’est parce qu’un aimant soulevait le fer en dépit de ces mêmes lois de la Pesanteur qu’elle a formulé les lois du Magnétisme ; c’est parce qu’Œrstedt avait trouvé une exception aux lois de l’Électrostatique et du Magnétisme qu’Ampère a inventé les lois de l’Électrodynamique et de l’Électromagnétisme. La Physique ne progresse pas comme la Géométrie, qui ajoute de nouvelles propositions définitives et indiscutables aux propositions définitives et indiscutables qu’elle possédait déjà ; elle progresse parce que, sans cesse, l’expérience fait éclater de nouveaux désaccords entre les lois et les faits et que, sans cesse, les physiciens retouchent et modifient les lois pour qu’elles représentent plus exactement les faits.