Page:Duhem - La Théorie physique, 1906.djvu/302

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
292
la structure de la théorie physique

blème de la certitude des lois de sens commun. On pourrait être tenté d’en tirer cette conclusion étrange que la connaissance des lois de la Physique constitue un degré de science inférieur à la simple connaissance des lois de sens commun. À ceux qui chercheraient à déduire des considérations précédentes cette conclusion paradoxale, contentons-nous de répondre en répétant des lois de la Physique ce que nous avons dit des expériences scientifiques : Une loi de Physique possède une certitude beaucoup moins immédiate et beaucoup plus difficile à apprécier qu’une loi de sens commun ; mais elle surpasse cette dernière par la précision minutieuse et détaillée de ses prédictions.

Que l’on compare cette loi de sens commun : à Paris, le soleil se lève tous les jours à l’orient, monte dans le ciel, puis redescend et se couche à l’occident, aux formules qui font connaître, à chaque instant et à une seconde près, les coordonnées du centre du soleil, et l’on sera convaincu de l’exactitude de cette proposition.

Cette minutie dans le détail, les lois de la Physique ne la peuvent acquérir qu’en sacrifiant quelque chose de la certitude fixe et absolue des lois de sens commun. Entre la précision et la certitude il y a une sorte de compensation ; l’une ne peut croître qu’au détriment de l’autre. Le mineur qui me présente une pierre peut m’affirmer, sans hésitation ni atténuation, que cette pierre renferme de l’or ; mais le chimiste qui me montre un lingot brillant en me disant : c’est de l’or pur, doit ajouter ce correctif : ou presque pur ; il ne peut affirmer que le lingot ne garde pas des traces infimes d’une matière étrangère.