Page:Duhem - La Théorie physique, 1906.djvu/343

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
333
la théorie physique et l’expérience

ciens qui prétendent suivre la méthode inductive ; il reste à signaler une forme plus illogique que toutes les autres, l’expérience absurde. Celle-ci prétend prouver une proposition qu’il est contradictoire de regarder comme l’énoncé d’un fait d’expérience.

Les physiciens les plus subtils n’ont pas toujours su se tenir en garde contre l’intervention, dans leurs exposés, de l’expérience absurde. Citons, par exemple, ces lignes empruntées à J. Bertrand[1]: « Si l’on admet, comme un fait d’expérience, que l’électricité se porte à la surface des corps, et comme un principe nécessaire que l’action de l’électricité libre sur les points des masses conductrices doit être nulle, on peut, de ces deux conditions supposées rigoureusement satisfaites, déduire que les attractions et les répulsions électriques sont inversement proportionnelles au carré de la distance. »

Prenons cette proposition : « Il n’y a aucune électricité à l’intérieur d’un corps conducteur lorsque l’équilibre électrique y est établi », et demandons-nous s’il est possible de la regarder comme l’énoncé d’un fait d’expérience. Pesons exactement le sens des mots qui y figurent et, particulièrement, le sens du mot intérieur. Au sens où il faut entendre ce mot en cette proposition, un point intérieur à un morceau de cuivre électrisé, c’est un point pris au sein de la masse de cuivre. Dès lors, comment pourrait-on constater s’il y a ou s’il n’y a pas d’électricité en ce point ? Il faudrait y placer un corps d’épreuve ; pour cela, il fau-

  1. J. Bertrand : Leçons sur la Théorie mathématique de l’Électricité, p. 71. Paris, 1890.