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THÉORIE PHYSIQUE ET CLASSIFICATION NATURELLE

raison ne connaît pas », il affirme sa foi en un ordre réel dont ses théories sont une image, de jour en jour plus claire et plus fidèle.

Ainsi l’analyse des méthodes par lesquelles s’édifient les théories physiques nous prouve avec une entière évidence que ces théories ne sauraient se poser en explications des lois expérimentales ; et, d’autre part, un acte de foi que cette analyse est incapable de justifier, comme elle est impuissante à le refréner, nous assure que ces théories ne sont pas un système purement artificiel, mais une classification naturelle. Et l’on peut, ici, appliquer cette profonde pensée de Pascal : « Nous avons une impuissance de prouver invincible à tout le dogmatisme ; nous avons une idée de la vérité invincible à tout le pyrrhonisme. »



 § V. — La théorie devançant l’expérience.

Il est une circonstance où se marque, avec une netteté particulière, notre croyance au caractère naturel d’une classification théorique ; cette circonstance se présente lorsque nous demandons à la théorie de nous annoncer les résultats d’une expérience avant que cette expérience n’ait été réalisée, lorsque nous lui enjoignons cet ordre audacieux : « Prophétise-nous. »

Un ensemble considérable de lois expérimentales avait été établi par les observateurs ; le théoricien s’est proposé de les condenser en un tout petit nombre d’hypothèses, et il y est parvenu ; chacune des lois expérimentales est correctement représentée par une conséquence de ces hypothèses.

Mais les conséquences que l’on peut tirer de ces