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l’objet de la théorie physique

l’essence même de la matière : « La nature du corps consiste en cela seul qu’il est une substance qui a de l’extension en longueur, largeur et profondeur. » L’essence de la matière étant ainsi connue, on pourra, par les procédés de la Géométrie, en déduire l’explication de tous les phénomènes naturels. « Je ne reçois point de principes en Physique », dit Descartes, résumant la méthode par laquelle il prétend traiter cette science, « qui ne soient aussi reçus en Mathématiques, afin de pouvoir prouver par démonstration tout ce que j’en déduirai, et ces principes suffisent, d’autant que tous les phénomènes de la nature peuvent être expliqués par leur moyen ».

Telle est l’audacieuse formule de la Cosmologie cartésienne ; l’homme connaît l’essence même de la matière, qui est l’étendue ; il peut donc, logiquement, en déduire toutes les propriétés de la matière ; la distinction entre la Physique, qui étudie les phénomènes et leurs lois, et la Métaphysique, qui cherche à connaître l’essence de la matière en tant que cause des phénomènes et raison d’être des lois, est dénuée de fondement ; l’esprit ne part pas de la connaissance du phénomène pour s’élever ensuite à la connaissance de la matière ; ce qu’il connaît d’abord, c’est la nature même de la matière, et l’explication des phénomènes en découle.

Cet orgueilleux principe, Descartes en pousse les conséquences jusqu’au bout ; il ne se contente pas d’affirmer que l’explication de tous les phénomènes naturels peut être tirée tout entière de cette seule proposition : « L’essence de la matière est l’étendue » ; cette explication, il tente de la donner en détail ; il