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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome I.djvu/256

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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE


qui se poursuit indéfiniment, toujours vers l’avenir ; à la place du tout simultané, nous mettrons le tout qui sera par parties successives et qui sera toujours. Ainsi, ce qui est totalité actuelle, simultanéité et infini actuel, le temps l’imitera parce qu’il veut toujours qu’un nouvel accroissement soit donné à ce qu’il est : cette manière d’être-ci, en effet, imite celle-là. Il faut donc se garder de chercher le temps hors de l’Âme, comme de chercher l’éternité hors de l’Être par excellence. »

On se tromperait donc si l’on cherchait le temps non point en l’Âme universelle, mais en l’âme particulière de chaque homme[1]. « Le temps est-il en nous ? Ou bien n’est-il pas plutôt dans cette Âme universelle, qui est de même manière en toutes choses et qui, seule, réunit toutes les âmes (αἱ πᾶσαι μία) ? C’est pour cela que le temps ne se pulvérise pas [en une foule de temps différents]. »

On ne se tromperait pas moins si l’on voulait, à l’exemple d’Aristote, que le temps fût la mesure du mouvement : c’est au contraire le mouvement qui est la mesure du temps, parce que le temps ne se voit pas, tandis que le mouvement se voit : or, c’est à l’aide des choses visibles que l’on reconnaît et que l’on mesure les choses invisibles[2] : « Ce que l’on mesure donc à l’aide de la rotation du ciel, c’est ce qui nous est manifeste ; cette chose-là sera le temps, non point engendré, mais seulement manifesté par la rotation du ciel… C’est ce qui a conduit [les Péripatéticiens] à dire : mesure du mouvement, au lieu de : mesuré par le mouvement, et à ajouter ensuite : quel qu’il soit, il est mesuré par le mouvement. » Ils tournaient ainsi dans un véritable cercle vicieux que rompt la théorie de Plotin.

La pensée de Plotin a été développée et précisée par son disciple Porphyre.

Sous ce titre : Tentatives pour atteindre les intelligibles, Πρὸς τὰ νοητὰ ἀφορμαί, Porphyre a condensé, dans un livre de peu d’étendue, la substance même de sa doctrine ; cette doctrine, d’ailleurs, ne diffère guère de celle que professait son maître Plotin : les Tentatives gardent souvent les pensées et jusqu’aux termes des Ennéades.

Dans cet écrit, Porphyre nous expose très clairement sa théorie du temps[3].

  1. Plotini Enneadis IIIœ lib. VII, cap. XII ; éd. cit., p. 180.
  2. Plotini Enneadis IIIœ lib. VII, cap. XI ; éd. cit., p. 178-179.
  3. Plotini Enneades cum Marsilii Ficini interpretatione castigala. . Iterum ediderunt Frid. Creuzer et Georg. Henricus Moser. Primum accedunt Porphyrii et Procli Institutiones et Prisciani philosophi Solutiones. Ex codice Sangerma-