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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE


III
LES ADVERSAIRES ARABES DU SYSTÈME DE PTOLÉMÉE. IBN BÂDJA ET IBN TOFAÏL

On peut regarder les hypothèses de l’Astronomie comme de simples fictions mathématiques que le géomètre combine afin de rendre les mouvements célestes accessibles à ses calculs : on peut y voir aussi la description de corps concrets, de mouvements réellement accomplis. Dans le premier cas, une seule condition est imposée à ces hypothèses, celle de sauver les apparences ; dans le second cas, la liberté de celui qui les imagine se trouve beaucoup plus étroitement limitée ; s’il est, en effet, l’adepte d’une philosophie qui prétende connaître quelque chose de la céleste essence, il lui faudra mettre ses hypothèses d’accord avec les préceptes de cette philosophie.

L’Auteur de l’Almageste et les penseurs hellènes qui sont venus après lui ont adopté, au sujet des hypothèses astronomiques, la première de ces deux opinions. Ils ont pu, dès lors, sans souci des diverses Physiques dont ils disputaient entre eux ou avec leurs contemporains, composer leurs théories géométriques ; ils ont pu choisir leurs suppositions sans se mettre en peine de rien, si ce n’est de l’accord entre les résultats de leurs calculs et les données des observations.

Au contraire, après l’Auteur des Hypothèses, avec Thâbit ben Kourrah, avec Ibn al Haitam, les astronomes arabes ont voulu que les hypothèses par eux imaginées correspondissent à des mouvements véritables de corps solides ou fluides réellement existants ; dès lors, ils ont rendu ces hypothèses justiciables des lois posées par la Physique.

Or, la Physique professée par la plupart des philosophes de l’Islam était la Physique péripatéticienne, la Physique que Sosigène et Xénarque avaient depuis longtemps opposée à l’Astronomie des excentriques et des épicycles, montrant que la réalité de celle-ci ne se pouvait concilier avec la vérité de celle-là. Le réalisme des astronomes arabes devait nécessairement provoquer les Péripatéticiens de l’islam à une lutte ardente et sans merci contre les doctrines de l’Almageste.

Au douzième siècle, nous voyons cette lutte, vivement menée par les plus illustres des penseurs arabes, par Ibn Bâdja (Avem-