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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

l’Africain, et comme on l’a répété après lui, puisqu’il n’avait que trois ans quand ce philosophe mourut, en 1138[1] ».

« Ce n’est donc qu’indirectement, par l’impulsion nouvelle qu’il donna aux études juives, que Maïmonide fonda chez ses coreligionnaires l’autorité d’Ibn Rochd. Maïmonide et Ibn Rochd puisèrent à la même source, et, en acceptant chacun de leur côté la tradition du Péripatétisme arabe, arrivèrent à une philosophie presque identique[2] ». Ce dernier jugement, nous l’allons voir est loin d’être exact.

Le juif Al Schieck Aboli Amran Mousa ben Maimoun al Cordobi, que ses coreligionnaires nommaient Rabbi Mousa ben Maimoun et les latins Maïmonides, a exposé ses doctrines philosophiques et religieuses en divers ouvrages et, particulièrement, dans le volumineux Guide des Égarés, si savamment publié, traduit et annoté par S. Munk[3].

La pensée de Maïmonide, en cet ouvrage, n’est point du tout, comme l’a dit Renan, presque identique à celle d’Ibn Rochd. Si l’on excepte le problème de l’immortalité de l’âme, où les deux philosophes ont admis une même théorie, celle d’Ibn Bâdja, on les voit se séparer presque en toutes circonstances. Maïmonide, en effet, ne ressemble aucunement au péripatéticien intransigeant qu’est Averroès. Il se rattache, de la manière la plus formelle, à la tradition du Néo-platonisme arabe ; il est disciple, fidèle jusqu’à la servilité, d’Avicenne et, surtout, d’Al Gazâli.

Il est, d’ailleurs, rapproché d’Al Gazâli par son désir de concilier l’enseignement de la Philosophie avec les dogmes communs au Judaïsme et à l’islamisme, notamment avec le dogme de la création. Ibn Rochd reçoit la parole d’Aristote comme l’expression de la vérité absolue et incontestable, tandis que le rabbin, si respectueux soit-il de l’enseignement du Stagirite, vénère une autre autorité, celle de Moïse. Entre eux, le contraste est saisissant. La souple intelligence du Juif, habile à retourner les opinions contraires, à en soupeser les avantages et les inconvénients, sait demeurer en suspens entre deux décisions aventureuses, tandis que l’Arabe simpliste, dédaigneux des subtiles distinctions et

  1. À la mort d’Ibn Bâdja, Maïmonide n’était pas encore né, si l’on en croit Wüstenfeld qui le fait vivre de 1139 à 1208 (Ferdinand Wüstenfeld, Geschichte der Arabischen Aerzte und Naturforscher, Göttingen, 1840, no 198, p. 109.)
  2. Ernest Renan, Averroès et l’Averroïsme, pp. 140-141.2
  3. Le guide des égarés, traité de Théologie et de Philosophie par Moïse ben Maimoun dit Maïmonide, publié pour la première fois dans l’original arabe et accompagné d’une traduction française et de notes critiques, littéraires et explicatives, par S. Munk. 3 vol., Paris, 1856-1866.