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PHYSICIENS ET ASTRONOMES. — II. LES SÉMITES

de tel astre se justifient au moyen de trois sphères, et un autre système selon lequel la même chose peut se justifier à l’aide de quatre sphères, le mieux est de s’en tenir au système suivant lequel le nombre des mouvements est le moindre. C’est pourquoi nous préférons, pour le Soleil, l’excentrique à l’épicycle, comme l’a dit Ptolémée. »

D’où vient cette impuissance où gît l’astronome à transformer ses hypothèses en vérités démontrées ? Elle a pour cause le caractère borné de la Science humaine, qui ne peut atteindre à la connaissance des choses célestes. Ptolémée l’a insinué, Proclus l’a dit avec plus de force, et Maïmonide le répète[1] :

« Ce que j’ai déjà dit plus haut, je le répéterai ici. C’est que tout ce qu’Aristote a dit sur les choses sublunaires a une suite logique ; ce sont des choses dont la cause est connue et qui se déduisent les unes des autres, et la place qu’y tiennent la sagesse et la prévoyance de la nature est évidente et manifeste. Quant à tout ce qui est dans le Ciel, l’homme n’en connaît rien si ce n’est ce peu de théories mathématiques ; et tu vois ce qu’il en est. Je dirai, en me servant d’une locution poétique : Les cieux appartiennent à l’Éternel ; mais la terre, il l’a donnée aux fils d’Adam (Ps. CXV, 16). C’est-à-dire que Dieu seul connaît parfaitement la véritable nature du Ciel, sa substance, sa forme, ses mouvements et leurs causes ; mais pour ce qui est au-dessous du Ciel, il a donné à l’homme la faculté de le connaître, car c’est là son monde, et la demeure où il a été placé et dont il forme lui-même une partie. Et c’est la vérité, car il nous est impossible d’avoir les éléments nécessaires pour raisonner sur le Ciel, qui est loin de nous et trop élevé par sa place et son rang Mais fatiguer les esprits avec ce qu’ils ne sauraient saisir, n’ayant même pas d’instruments pour y arriver, ne serait qu’un manque de bon sens et une espèce de folie. »

Il est donc sensé de s’efforcer à la constitution d’une Physique sublunaire qui nous enseigne les véritables propriétés des quatre éléments et de leurs mixtes ; il est insensé de tenter la construction d’une Physique céleste qui, prétende, par ses principes, connaître de la cinquième essence.

Cette tentative, que Maïmonide réputé follement téméraire, c’est celle à laquelle Averroès conviait les astronomes lorsqu’il écrivait ces paroles : « Il est nécessaire de se livrer à de nouvelles

  1. Maïmonide, Op. laud., deuxième partie, ch. XXIV ; trad. Munk, t. II, pp. 194-195.