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PHYSICIENS ET ASTRONOMES. — II. LES SÉMITES

Il est permis de penser que le traité auquel Chalcidius empruntait de telles considérations n’était pas sans analogie avec celui qu’Al Bitrogi paraît avoir plagié : cette supposition se trouve confirmée lorsque l’on compare entre eux les enseignements du Commentateur latin et ceux de l’Astronome arabe touchant les mouvements des éléments ; un prochain chapitre nous fournira l’occasion d’analyser ce que Chalcidius a dit à ce sujet.

L’idée que toutes les sphères célestes se meuvent dans le même sens, et d’autant plus vite qu’elles sont plus élevées, se reliait assurément, pour certains philosophes hellènes comme pour Al Bitrogi, à ce principe qu’un être éprouve d’autant plus fortement l’action de l’Un qu’il en est plus rapproché. Cette idée, nous en trouvons l’énoncé très net dans un passage de la Théologie d’Aristote[1].

« Parmi les corps, celui qui est le plus différent de la Cause première est aussi le moins apte à recevoir l’influx de l’Âme ; celui qui ressemble le plus à la Cause première est le plus apte à éprouver cet effet. Pour les corps en mouvement, la lenteur est plus grande ou plus petite selon que leur différence à l’égard de l’Un premier est plus grande ou plus petite… En effet, en même temps que varient les longueurs des rayons menés à partir du centre des êtres, les mouvements changent par addition de vitesse et suppression de lenteur. Plus le mouvement est inférieur, plus il est, par sa lenteur, faible et atténué ; inversement, plus il est supérieur, plus il est rapide. Il en est ainsi jusqu’à ce qu’on parvienne à ce Monde suprême », qui est le Monde intelligible.

Ainsi, la théorie qu’Al Bitrogi devait s’approprier était assurément en faveur auprès de plusieurs des Néo-platoniciens les moins anciens.

Les doctrines hellènes dont devait sortir le système astronomique d’Al Bitrogi semblent avoir été souvent rattachées à la théorie pythagoricienne et platonicienne de la Musique céleste. Selon ces doctrines, en effet, si l’on descend de la sphère suprême à la sphère intime de la Lune, on voit ces orbes successifs tourner tous dans le même sens, et chacun d’eux tourne plus lentement que celui qui le précède ; l’idée que chacun d’eux, par son mouvement, rend un son plus grave que l’orbe qui l’enveloppe est alors rendue plus naturelle à l’esprit. Aussi peut-on faire cette remarque : Bien souvent, les auteurs mêmes qui attribuent aux astres errants un

  1. Aristotelis Theologia, lib. VII, cap. VII ; éd. 1519, fol. 34, vo ; éd. 1572, fol. 60, vo. — Pour la description des éditions de cet apocryphe célèbre, voir : tome I, p. 272.