Les philosophes, donc, qui parlaient de l’harmonieux concert rendu par les sphères célestes, étaient naturellement conduits à considérer les mouvements des orbes comme les considérera Al Bitrogi ; et ce souffle, dont Macrobe vient de nous parler, ce souffle d’autant plus puissant qu’il est plus proche de la cause qui l’a produit, c’est-à-dire du premier Moteur, qui s’affaiblit au fur et à mesure qu’il descend de sphère en sphère, qui n’est plus en état d’ébranler la terre, Al Bitrogi le considérera à son tour ; dans cette impulsion émanée de la Cause suprême, qui s’atténue en s’éloignant de cette Cause, il verra l’explication des rotations de plus en plus lentes des orbes emboîtés les uns dans les autres ; l’évanouissement de cette impulsion expliquera l’immobilité de la sphère terrestre, centre de toutes les autres.
Ainsi, l’hypothèse fondamentale du système d’Al Bitrogi n’a cessé de solliciter la pensée grecque ni de l’occuper, soit que les savants hellènes adoptassent cette supposition, soit qu’ils la combatissent. Elle a été étudiée jusqu’aux époques voisines de Ptolémée. Ptolémée ne l’a pas ignorée et, au quatrième siècle de notre ère, on en disputait encore. Faut-il s’étonner, dès lors qu’après le temps du grand Astronome alexandrin, la même hypothèse ait été reprise, qu’elle ait servi à composer un traité dont l’auteur semble avoir eu souci d’éviter les objections formulées par Géminus ? un traité dont les épicycles sphériques s’inspirent assurément des épicycles plans d’Hipparque et de Ptolémée ? C’est ce traité grec, plus ou moins remanié, qu’Al Bitrogi aurait donné comme sien. En ce cas, comme en tant d’autres, la Science arabe, dénuée de toute originalité, n’aurait fait que nous transmettre les œuvres de la Science hellène.
Al Bitrogi, d’ailleurs, n’a pas été le premier, parmi les savants de l’Islam, qui se soit attaché à l’une des hypothèses fondamentales qu’il adopte, à celle qui assurera surtout sa réputation parmi ses lecteurs chrétiens. D’autres Arabes, avant lui, avaient prétendu que toutes les sphères célestes tournent d’Orient en Occident, mais d’autant plus lentement qu’elles sont plus éloignées de la sphère suprême, de la sphère inerrante du mouvement diurne. Dès le Xe siècle de notre ère, les Frères de la Pureté et de la Sincérité enseignent formellement cette doctrine.
« La sphère enveloppante, disent-ils[1], celle qui est tout d’abord
- ↑ Friedrich Dieterici, Die Philosophie der Araber im IX und X Jahrhundert n. Chr. aus der Theologie des Aristoleles, den Abhandlungen Alfarabis und den Sehriften der liatern Brûler ! iuc ! i : X daranschauung und Naturphilosophie 2te Ausgabe, Leipzig, 1876, pp. 35-36.