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PHYSICIENS ET ASTRONOMES. — II. LES SÉMITES

nous présente évidemment, sous une forme explicite, les pensées dont s’inspire la philosophie d’Al Bitrogi.

Ce n’est pas à dire, d’ailleurs, que les Frères de la Pureté et de la Sincérité aient poussé leurs considérations astronomiques fort avant dans la voie suivie par la Théorie des planètes d’Alpetragius. Ils se sont bornés à formuler ce principe, qui s’accordait harmonieusement avec leur doctrine sur L’Âme du Monde : toutes les sphères célestes tournent d’Orient en Occident, mais d’autant plus lentement qu’elles sont plus éloignées de la sphère suprême. Lorsqu’il s’agit de pénétrer dans le détail des phénomènes astronomiques plus loin que ne conduit ce principe, nos philosophes semblent le délaisser ; ce qu’ils invoquent alors, ce sont les hypothèses de Ptolémée, présentées, nous l’avons vu, sous la forme qu’Al Hazen adoptera : volontiers, ils renvoient leur lecteur au grand ouvrage de Ptolémée, al Magisti, et aussi au traité d’Al Fergani[1]. Assurément, donc, ce n’est pas de ces auteurs qu’Al Bitrogi tient son système.

Quelle que soit, d’ailleurs, la part vraiment prise par Alpetragius à la rédaction de la Théorie des planètes qui nous est donnée sous son nom, il est une proposition qu’on peut formuler sans réserve et que la suite de cet écrit justifiera : Cette œuvre peut-être imitée, probablement plagiée, cette œuvre qui n’est qu’une tentative et qui ne s’achève pas, aura la plus grande influence sur l’évolution de l’Astronomie occidentale. Cette influence, nous la reconnaîtrons partout et toujours, côtoyant celle qu’exerce la doctrine de Ptolémée, la contrariant et l’empêchant de ravir l’acquiescement unanime des astronomes. Le perpétuel conflit de ces deux influences entretiendra le doute et l’hésitation à l’égard de chacune d’elles ; il ne permettra pas aux intelligences d’être asservies par l’empire incontesté de l’une ou de l’autre d’entre elles ; il assurera aux esprits curieux la liberté de recherche sans laquelle la découverte d’un nouveau système astronomique fût demeurée impossible[2].

  1. Fr. Dieterici, Op. laud., p. 118.
  2. L’influence du système d’Al Bitrogi ne s’exerça pas seulement parmi les Chrétiens d’occident ; certains astronomes musulmans en ressentirent les effets.

    « Un auteur du xive siècle, Joseph Ibn Nahmias, a écrit une œuvre arabe intitulée Lumière du Monde, dont il existe une version hébraïque à la Bodléïenne. Dans la préface, l’auteur dit que son intention est de prouver que les épicycles et les cercles excentriques sont impossibles, mais qu’un mouvement circulaire contraire à un autre est possible. À la page 2, il observe qu’Albatrugi n’a pu poursuivre sa théorie jusqu’à la réalité, jd (Vite de Matematici Arabi tratte da un’ opera inedita di Behnarditno Baldi con note di M. Steinschneider Bulletino di B. Boncompagni, t. V, 1872, p. 534, note 16).