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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

l’Océan présente deux flux et deux reflux. Au flux, on doit comparer le courant qui transporte les eaux de la mer Tyrrhénienne vers la mer de Sicile, les amenant, du niveau le plus élevé au niveau le plus bas ; ce courant se nomme le courant descendant[1] ; il répond au flux, car il commence et finit en même temps ; il commence, en effet, au moment où la Lune se lève et au moment où la Lune se couche ; il finit au moment où elle atteint soit le méridien qui est au-dessus de la terre, soif le méridien qui est au-dessous de la terre (ὁμολογεῖν δ’ ὅτι ϰαὶ ϰατὰ τὸν αὐτὸν ϰαιρὸν ἄρχεταί τε ϰαὶ παύεται ϰαθ’ ὅν αἱ πλημμυρίδες · ἄρχεται μὲν γὰρ περὶ τὴν ἀνατολὴν τῆς σελήνης ϰαὶ τὴν δύσιν, λήγει δ’ ὅταν συνάπτῃ τῇ μεσουρανήσει ἑϰατέρᾳ, τῇ τε ὑπὲρ γῆς ϰαὶ τῇ ὑπὸ γῆς). Au reflux correspond le courant en sens contraire, qu’on nomme courant de sortie (ἐξιόντα) ; comme le reflux, il commence lorsque la Lune est à l’un des deux méridiens, et il cesse lorsqu’elle parvient au levant ou au couchant (ταῖς μεσουρανήσεσι τῆς σελήνης ἀμφοτέραις ἐναρχόμενον, ϰαθάπερ αἱ ἀμπώτεις, ταῖς δὲ συνάψεσι ταῖς πρὸς τὰς ἀνατολὰς ϰαὶ δύσεις παυόμενον). »

Par ce texte, nous voyons qu’Ératosthène connaissait exactement la loi que suit, dans l’Océan, la marée semi-diurne ; il savait comment le flux et le reflux dépendent de la position de la Lune au-dessus ou au-dessous de l’horizon ; cette dépendance caractéristique lui permettait d’identifier avec la marée certains phénomènes qui pouvaient, au premier abord, en paraître différents. Dès le temps de cet auteur, donc, la connaissance des marées acquise par les Hellènes commençait à mériter le nom de science.

À cette science des marées, Séleucus de Séleucie fit faire de nouveaux progrès. Né près des rives de la mer Rouge[2] il put faire des observations sur le flux et le reflux de cette mer, ainsi, sans doute, que de l’Océan Indien, Ces observations l’amenèrent à reconnaître que la marée ne se comportait pas partout de la même manière[3]. Outre ces particularités locales, il nota certaines différences que la marée présente, en un même lieu, suivant l’époque de l’année où on l’observe ; ces différences, il crut pouvoir les attribuer à ce fait que la Lune occupait tantôt un signe du Zodiaque et tantôt un autre ; voici, en effet, en quels termes Strabon nous rapporte la découverte de Séleucus[4] :

  1. Encore aujourd’hui, les pêcheurs qui fréquentent le détroit de Messine nomment rema scendente le courant dirigé du nord au sud et rema montante le courant qui va du sud au nord [Roberto Almagia, Op. laud., loc. cit., p. 392, note (3)].
  2. Strabonis Geographica, lib. III, cap. V, 9 ; éd. cit., pp. 144-145.
  3. Strabonis Geographica, lib. I, cap. I, 9 ; éd. cit., p. 4.
  4. Strabonis Geographica, lib. III, cap. V, 9 ; éd. cit, p. 145.