D’où vient que les changements du monde sublunaire ne sont pas soumis au même ordre invariable, à la même loi rigoureuse que les mouvements célestes dont ils sont les effets ?
« Toutes les choses qui, d’une manière générale ou particulière, sont mues par la Cause première, procèdent suivant une loi invariable, car rien ne peut surpasser la Cause première, plus élevée que tout ce qui ferait effort contre elle. Mais s’il est des choses qui dépendent de causes efficientes opposées les unes aux autres, il pourra aisément se faire que la marche en soit changée ».
Les corps célestes sont mus directement par la Cause première ; leur cours est donc nécessaire et immuable. « Mais les minéraux, les végétaux et les animaux… admettent, d’une part, certaines causes efficientes nécessaires et, d’autre part, dépendent de causes efficientes opposées aux premières ». Si le groupe des causes qui agissent dans un sens est formé de causes très nombreuses et très puissantes, l’effet qu’elles tendent, à produire sera inévitable ; si, au contraire, les deux groupes de causes antagonistes sont à peu près équivalents, il sera facile d’en faire suivre tel effet ou bien l’effet contraire. Tandis donc que l’étude d’un premier groupe de causes aura permis d’annoncer l’avènement de tel effet, on pourra, en faisant intervenir ou en secondant les causes antagonistes, empêcher cet effet de se produire. « Ainsi les médecins peuvent annoncer qu’un ulcère deviendra serpigineux ou putride ; ainsi encore, pour prendre exemple des métaux, on peut enseigner que la pierre d’aimant attirera le fer. Le fer et l’ulcère, en effet, tendent d’eux-mêmes à suivre la direction où les entraîne la force de leur nature première, si on les abandonne à eux-mêmes, par ignorance de la cause efficiente contraire qu’ils pourraient subir. Mais si, à l’ulcère, nous opposons une médecine contraire, il ne deviendra ni serpigineux ni putride ; si nous frottons d’ail la pierre d’aimant, elle n’attirera plus le fer. Cette médecine, ce suc de l’ail font obstacle aux causes considérées en premier lieu ; ils introduisent des causes efficientes de sens contraire, et cela d’une manière naturelle et en vertu d’une loi fatale.
» Il en est de même pour les choses dont nous parlons. Si l’on n’a pas prévu un événement qui doit advenir aux hommes ou si l’on ne tient pas compte de la prévision acquise, il n’est point douteux que cet événement suivra l’ordre prescrit par sa nature première ; mais si on l’a prévu et si on a pris souci de cette prévision, on pourra, à l’aide d’une loi également naturelle et fatale, ou bien écarter entièrement cet événement, ou bien le rendre plus aisé à supporter. »