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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

ramène le Monde au même état. Ils l’accusaient de supprimer la responsabilité humaine et d’innocenter les coupables. Le philosophe stoïcien, ému de ces critiques, s’efforçait de concilier le déterminisme avec la liberté humaine, et la contingence avec le Destin. Par quelles subtilités il tentait cette conciliation entre contradictoires, Cicéron, dans son traité, Du Destin, nous l’a fait connaître.

Nombre de gens évitaient de renouveler la tentative chimérique de Chrysippe. Les Chaldéens acceptaient le fatalisme ; Favorinus, au contraire, revendiquait contre eux la liberté de nos décisions[1] : « Ce qu’il jugeait surtout insupportable, c’est qu’ils regardassent comme mûs et produits d’en haut par le Ciel, non seulement les accidents et les événements qui nous arrivent du dehors, mais les délibérations des hommes, leurs décisions, leurs diverses volontés ».

Dans le monde romain, il s’est trouvé des hommes comme Cicéron, comme le philosophe Favorinus, comme Aulu-Gelle, pour s’insurger contre le fatalisme astrologique d’un Posidonius et revendiquer les droits du libre arbitre, il s’en est également rencontré dans le monde grec, et ceux-là ont pu, dans leur pensée comme dans leur langage, mettre la précision dont Aristote leur avait donné l’exemple.

La théorie du mouvement proposée par le Stagirite et, par cette théorie, toute la Physique et toute la Métaphysique péripatéticiennes, se concentrent, pour ainsi dire, sur cette affirmation[2] ;

« Ce monde-ci est lié en quelque sorte, et d’une manière nécessaire, aux mouvements locaux du monde supérieur, en sorte que toute la puissance qui réside en notre monde est gouvernée par ces mouvements ; cela donc qui est, pour tous les corps célestes, le principe du mouvement, on le doit considérer comme la Cause première. »

Une telle affirmation permet-elle au monde inférieur d’échapper, de quelque manière que ce soit, au déterminisme le plus rigoureux ? Il ne paraît pas. Et cependant, Aristote s’est laissé aller jusqu’à mettre de l’indétermination dans les choses sublunaires.

Ce n’est pas qu’il veuille soustraire le monde inférieur au déterminisme en y introduisant la fortune ou le hasard (τύχη ou

  1. Aulu-Gelle, Les nuits attiques, livre XIV, ch. I.
  2. Aristote, Météores, livre I, ch. II (Aristotei.is Opéra, éd. Didot, t. III, pp. 552-553 ; éd. Bekker, vol. I, p. 339, col. a) — Voir ; Ch. IV, § V ; t. I, p. 164.