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LA THÉORIE DES MARÉES ET L’ASTROLOGIE

τὸ αὐτόματον). Le hasard, ce n’est point du tout un effet privé de causes déterminantes[1]. « Si, parmi des actions qui sont faites simplement en vue d’une certaine fin, il s’en produit une dont la cause soit en dehors [des causes des premières actions], et qui ne concoure pas à cette fin, nous disons évidemment que cette dernière arrive par hasard. — Ὥστε φανερὸν ὅτι ἐν τοῖς ἁπλῶς ἕνεϰα του γινόμενοις, ὅταν μὴ τοῦ συμϐάντος ἕνεϰα γένηται οὖ ἔξω τὸ αἴτιον, τότε ἀπὸ ταὐμάτου λέγομεν. » Un fait fortuit, donc, c’est une conséquence bien déterminée d’une cause non moins déterminée ; mais cette conséquence vient traverser un ensemble d’effets qui avaient été ordonnés en vue d’une certaine fin à laquelle le soi-disant fait fortuit ne contribue pas. Je suis allé me promener pour rendre ma digestion plus aisée ; par suite d’une cause tout à fait étrangère à ma promenade, l’effet désiré ne s’est pas produit ; voilà le hasard. En quoi rompt-il l’enchaînement du déterminisme ?

Un effet ne se produit par fortune ou par hasard que s’il survient au milieu d’actions qui ont été coordonnées en vue d’une fin, ce qui suppose un choix, partant une intervention de l’intelligence. « La fortune[2], c’est donc une cause qui agit accidentellement au milieu d’actions qui ont été choisies en vue d’une certaine fin. Partant, la pensée et la fortune se rencontrent à l’occasion d’une même chose ; car sans pensée, pas de choix. — Ἡ γὰρ προαίρεσις οὐϰ ἄνευ διανοίας. » Lors donc que nous voudrons énumérer toutes les causes qui interviennent dans la production d’un événement fortuit, il nous faudra, à côté de la nature qui meut, tenir compte de l’esprit qui choisit et ordonne. « Le hasard et la fortune[3] sont conséquences, à la fois, de la nature et de l’esprit. — Ὕστερον ἄρα τὸ αὐτόματον ϰαὶ ἡ τύχη ϰαὶ νοῦ ϰαὶ φύσεως. »

Aristote a montré que les faits auxquels nous donnons le nom de cas fortuits ne sont pas des faits sans cause ; mais son analyse des notions de hasard et de fortune suppose une condition essentielle ; elle suppose qu’une intelligence puisse se proposer une fin, et ordonner des actes en vue de cette fin ; elle suppose donc que nous avions le pouvoir soit de produire, soit d’empêcher certains mouvements ; elle suppose que l’avenir soit riche d’effets contingents que nous pourrons, selon notre désir, déterminer dans un sens ou dans le sens contraire.

  1. Aristote, Physique, livre II, ch. VI (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 208 ; éd. Bekker. vol. I, p. 197, col. b).
  2. Aristote, Physique, livre II, ch. V (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 267 ; éd. Bekker. vol. I, p. 197, col. a).
  3. Aristote, Physique, livre II, ch. VI (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 269 ; éd. Bekker. vol. I, p. 198, col. a).