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LA THÉORIE DES MARÉES ET L’ASTROLOGIE

Comme Plutarque, Alexandre admet[1] qu’il est des œuvres qui sont en notre pouvoir (ἐφ' ἡμῖν). Si ces œuvres sont en notre pouvoir, de telle sorte que nous nous regardions comme les maîtres de les accomplir ou de ne pas les accomplir, on ne saurait dire que le Destin en est la cause, ou qu’elles admettent certaines causes qui seraient des causes extérieures, fixées d’avance et de haut, en vertu desquelles telle de ces œuvres devrait absolument être faite ou ne devrait absolument pas être accomplie. S’il en était ainsi, en effet, ces œuvres ne seraient aucunement en notre pouvoir. »

Exclu des œuvres humaines, le Destin va-t-il, du moins, régner sans partage sur les œuvres de la nature ? Pourrons-nous, comme les Stoïciens, déclarer : « Le Destin, c’est la même chose que la nature ; ce qui est fatal est naturel et ce qui est naturel est fatal. — Εἶναι ταὐτὸν εἱμαρμένην τε ϰαὶ φύσιν. Τό τε γὰρ εἱμαρμένον ϰατὰ φύσιν, ϰαὶ τὸ ϰατὰ φύσιν εἱμαρμένον. » Alexandre refuse aux lois naturelles elles-mêmes ce déterminisme absolu. « Ce qui se produit suivant la nature, dit-il[2], ne se produit pas d’une manière nécessaire ; de ce qui devait être ainsi engendré, la production peut se trouver empêchée. Parfois, les choses qui arrivent selon la nature sont choses qui arrivent la plupart du temps, mais non d’une manière nécessaire. — Ποτὲ μὲν ὡς ἐπὶ τὸ πλεῖστον μὲν γινεται τὰ γινόμενα ϰατὰ φύσιν, οὐ μὴν ἐξ ἀναγϰης. » C’est là, ajoute-t-il[3], l’enseignement des Péripatéticiens au sujet du Destin.

Comme Plutarque, donc, Alexandre admet que, s’il est des œuvres en notre pouvoir, c’est que le cours de la nature peut être détourné, c’est que, dans l’avenir du Monde, il y a place pour la contingence. Ce qui est contingent, il le nomme[4], comme Plutarque, τὸ ἐνδεχόμενον, et aussi, comme Aristote, dont il s’inspire sans cesse, l’indifférent, τὸ ὁπότερα (ad utrumlibet). Voici la définition qu’il en donne[5] : « Ce qui, dans une chose, s’est produit d’une manière contingente, c’est ce qui était également capable de ne pas s’y produire. — Τὸ ἐνδεχομένως γεγονὸς ἔν τινι ϰαὶ μὴ γενονέναι ἐν αὐτῷ οἶόν τε ἦν ».

Qu’on n’aille pas prétendre, d’ailleurs, qu’en soumettant toute chose à une inéluctable destinée, on n’abolit pas la contingence. Répéter, à cet effet, les sophismes de Chrysippe, « n’est-ce pas

  1. Alexandri Aphrodisiensis De fato cap. V (Alexandri Aphrodisiensis Scripta minora, éd. Bruns, p. 169.
  2. Alexandri Aphrodisiensis Op. laud., cap. VI ; éd, cit., loc. cit.
  3. Alexandri Aphrodisiensis Op. laud., cap. VI ; éd, cit., p. 171.
  4. Alexandri Aphrodisiensis Op. laud., cap. VI ; éd, cit., p. 174.
  5. Alexandri Aphrodisiensis, loc. cit., éd. cit., p. 176.