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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

plaisanter[1] dans des raisonnements ou la plaisanterie n’est pas de mise ? »

À l’exemple d’Aristote, Alexandre montre[2] que, nier la contingence, c’est rendre incompréhensible la délibération qui, en nous, précède l’accomplissement d’une action. Pourquoi peser les deux partis et les comparer entre eux si celui que nous devons prendre est irrémédiablement fixé par la Destinée ?

« Si tout ce qui advient[3] est une suite de causes prévues d’en haut, déterminées et préexistantes, c’est en vain (μάτην) que les hommes délibèrent au sujet de leurs actions. S’il est vain de délibérer, c’est en vain que l’homme est doué de la faculté de délibérer. Et cependant, rien de ce que produit la nature n’est, par elle, fait en vain ; et c’est la nature qui a fait que l’homme fût un animal capable de délibérer. » Que nous délibérions, donc, avant d’accomplir une action, c’est une preuve manifeste qu’il y a, dans l’avenir, des événements contingents.

« il n’est donc pas vrai, conclut Alexandre[4], que tout ce qui advient, advienne en vertu d’une cause extérieure ; grâce à notre liberté (ἐξουσία), en effet, il y a des choses qui sont en notre pouvoir ; des événements ainsi produits, ce n’est pas quelque cause extérieure, c’est nous qui sommes les maîtres. Partant, ce qui est ainsi produit, n’est pas produit sans cause ; il a sa cause en nous. Car l’homme est principe et cause des actions qu’il accomplit ; être homme, c’est posséder en soi-même le principe d’une telle manière d’agir. — Ὁ γὰρ ἄνθρωπος ἀρχὴ ϰαὶ αἰτία τῶν δι’ αὐτοῦ γινομένων πράξεων, ϰαὶ τοῦτό ἐστι τὸ εἶναι ἀνθρώπῳ τὸ τοῦ πράττειν οὕτως τὴν ἀρχὴν ἔχειν ἐν αὑτῷ. »

Celui qui revendique si fermement, pour l’homme, le pouvoir d’agir librement, la faculté d’être, dans le monde, un principe autonome de mouvement, était, en son temps, le plus fidèle disciple d’Aristote ; avec Aristote, il enseignait que tout changement a pour principe un mouvement local, que tout mouvement local sublunaire a pour cause l’éternelle circulation des sphères célestes. Comment cet enseignement se peut-il concilier avec celui que nous venons d’entendre de sa bouche ? Il n’a pas tenté de nous le dire.

Comme Plutarque et comme Alexandre, les Néoplatoniciens chercheront à restreindre l’empire du Destin et à en affranchir,

  1. Alexandri Aphrodisiensis Op. laud., cap. X : éd. cit., p. 176.
  2. Alexandri Aphrodisiensis Op. laud., cap. X-XIV : éd. cit., p. 178-186.
  3. Alexandri Aphrodisiensis Op. laud., cap. X : éd. cit., p. 178.
  4. Alexandri Aphrodisiensis Op. laud., cap. XV : éd. cit., p. 185.