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LA THÉORIE DES MARÉES ET L’ASTROLOGIE

signes (significari), les événements futurs. Mais comment le font-ils ? Il nous faut, à ce sujet, poser une distinction.

» Il déplaît aux Stoïciens qu’un dieu intervienne pour chacune des fissures d’un foie ou pour chaque chant d’oiseau ; ce n’est point convenable, disent-ils, ni digne des dieux : en un mot, cela ne se peut d’aucune manière. Mais, dès le commencement, le Monde a été ainsi institué que telle chose bien déterminée soit précédée par tel signe bien déterminé ; de ces signes, les uns se trouvent dans les entrailles, les autres sont fournis par les oiseaux, ou par la foudre, ou par les éclairs, ou par les étoiles, ou par les visions des songes, ou par les paroles des fous. Ceux qui les ont bien observés s’y trompent rarement. »

Les Stoïciens dont Cicéron, dans ce passage, nous rapporte la doctrine n’admettent aucunement qu’entre un présage et l’événement qu’il annonce, il y ait relation de cause efficiente à effet produit ; si la chose signifiée advient, d’une manière assurée, à la suite du signe qui en a été donné, c’est seulement en vertu d’une harmonie préétablie, d’une correspondance invariable que les dieux ont fixée en organisant le Monde. C’est bien la doctrine que défendra Plotin.

Cicéron, après avoir exposé ce système stoïcien, qui explique la divination à l’aide d’une harmonie universelle divinement préétablie, ajoute[1] :

« Il me semble que la raison d’être de la divination et le pouvoir de deviner doivent s’expliquer, en premier lieu, par Dieu…, en second lieu par le Destin, en troisième lieu par la nature. J’appelle Destin ce que les Grecs nomment Εἱμαρμενή ; c’est l’ordre et la série des causes ; … c’est la vérité perpétuelle qui coule de toute éternité. Comprenons donc que le Destin n’est pas ce que les gens supertitieux entendent sous ce nom, mais ce qu’entendent les physiciens ; c’est la cause éternelle des choses, la cause par laquelle le passé a été fait, par laquelle le présent se fait, par laquelle l’avenir se fera.

» En outre, puisque tout est fait par le Destin, si un mortel pouvait, en son intelligence, saisir la liaison de toutes les causes, rien ne pourrait décevoir ses prévisions ; qui tient, en effet, les causes des choses à venir, tient nécessairement aussi tout le futur. Mais de cela, nul n’est capable, s’il n’est dieu. Il reste donc seulement à l’homme la faculté de prévoir l’avenir à l’aide de certains signes propres à annoncer ce qui suivra… Cette prévision

  1. Cicéron, Op. laud., lib. I, capp. LV et LVI.