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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

est l’apanage de ceux auxquels la faculté de deviner a été donnée par la nature et de ceux qui se sont instruits en observant le cours des choses. Lors même qu’ils ne voient pas les causes, ils discernent des signes et indices de ces causes. »

C’est, semble-t-il, la doctrine de son condisciple Posidonius que Cicéron expose dans ces pages. Dans l’ordre fixe qui relie le passé au présent, le présent au futur, dans cet ordre qu’avec Chrysippe, il nomme Destin (Εἱμαρμενή), Posidonius ne voit pas seulement une harmonie préétablie, comme les Stoïciens dont Cicéron a parlé tout d’abord ; il voit un enchaînement de causes et d’effets. Connaître le Destin, ce serait connaître les choses à venir par leurs causes efficientes ; ce ne serait point simplement les prévoir à l’aide de signes qui les précèdent infailliblement, mais ne les produisent pas. Posidonius admet, toutefois, que la prévision par les causes ne saurait être, dans toute son ampleur, accessible à l’homme ; celui-ci doit, en général, se contenter de la divination par signes.

Mais en regardant le lien qui enchaîne les choses de ce Monde les unes aux autres comme un lien de causalité, Posidonius, sans doute, n’excluait pas la considération de la Cause suprême. Cicéron nous a dit qu’en sa justification de la divination, il faisait intervenir la divinité, et cela comme les Stoïciens dont la doctrine venait d’être rapportée. Il attribuait donc à Dieu l’établissement de l’ordre qui, dans l’Univers, relie les causes aux effets ; si les choses de ce Monde sont causes, c’est parce qu’elles tiennent ce pouvoir de la Cause première.

Sans refuser aux choses visibles le rôle de causes efficientes, mais de causes efficientes secondes, il semble bien que la plupart des auteurs, antérieurs à Plotin, qui ont entrepris de justifier la divination, les aient surtout regardées comme des signes ; si elles permettent de pronostiquer l’avenir, c’est, en général, à titre de signes, non à titre de causes des événements futurs ; et ce rôle de signes, elles le jouent en vertu de l’ordre que Dieu a imposé à l’Univers.

Nous avons entendu Sénèque[1], l’un des plus fermes adeptes du fatalisme stoïcien, exprimer cette opinion de la manière la plus claire.

Sénèque veut que les astres signifient aux choses sublunaires leur immuable et inexorable destinée. Mais de ce destin, il ne fait pas un dieu immanent au Monde ; il le regarde comme un décret porté par des dieux supérieurs au Monde.

  1. Vide supra, p. 287.