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LA THÉORIE DES MARÉES ET L’ASTROLOGIE

gnostique Valentin de Rome (vers 133-160). Voici[1] ce qu’enseignaient ces disciples immédiats de Valentin :

« Il y a, dans les profondeurs invisibles et ineffables, un Éon parfait, le Premier Terme de l’Être (Προόντα) ; ils l’appellent aussi le Premier Principe (Προαρχή), le Premier Père (Προπατώρ), l’Abîme (Βυθός) ; il est invisible et infini. Étant invisible et infini, éternel et inengendré, il a duré, pendant des siècles infinis, en tout repos et tranquillité. Avec lui, coexiste la Pensée (Ἔννοια), qu’ils nomment aussi la Grâce et le Silence. Un jour, l’Abîme songea à émettre de soi le commencement de toutes choses, et, comme la semence à la matrice, il voulut confier cette émission qu’il méditait au Silence qui coexiste avec lui ; le Silence la reçut et, fécondé par là, il engendra l’intelligence (Νοῦς). L’Intelligence est égale et semblable à celui qui l’a émise ; seule, elle peut contenir la grandeur du Père ; on l’appelle aussi le Monogène, le Père, le Commencement de toutes choses. Avec l’intelligence, a été émise la Vérité. Et voilà la primitive Tétrade pythagoricienne, l’origine première, ce qu’ils appellent aussi la racine de toutes choses ; c’est l’Abîme et le Silence, l’intelligence et la Vérité.

» Apprenant d’où il avait été émis, le Monogène émit, à son tour, le Verbe et la Vie, pères de tous ceux qui viendront, principe et forme active (μόρφωσις) de tout le Plérôme… »

Les émissions se poursuivent de la sorte, produisant toujours, en même temps, un couple d’Éons, l’un mâle, l’autre femelle.

« Il y a en tout trente Éons[2], répartis en trois groupes, l’Ogdoade, la Décade et la Dodécade.

» Mais la Sagesse (Σοφία), dernier terme mâle de la Dodécade, désire avec passion connaître le Père mystérieux, l’Abîme ineffable. »

« Or, disent-ils[3], à un seul d’entre les Éons il a été donné de connaître le Premier Père, au Monogène qui est issu de lui, c’est-à-dire à l’Intelligence. »

La Sagesse, donc, eut la témérité de vouloir connaître la grandeur du Père[4]. Mais comme elle n’y pouvait parvenir, elle tomba dans une violente et douloureuse anxiété ; et peut-être eût-elle été absorbée et dissoute dans la substance universelle, si elle n’avait rencontré une force qui donne consistance à toutes choses et les

  1. Sancti Irenæi Contra hœreses liber primus, cap. I, I (Patrologiœ Grœcœ, t. VII, coll. 445-447) — Traduction de A. Dufourcq, Saint Irénée, pp. 41-42. (Collection : La Pensée chrétienne, Paris, Bloud, 1905).
  2. A. Dufourcq, Op. laud., p. 43.
  3. S. Irenæi Op. laud., lib. II, cap. II, I ; éd. cit., coll. 451-452.
  4. S. Irénée, loc. cit., 2 ; éd. cit., coll. 454-456.