Page:Duhem - Le Système du Monde, tome II.djvu/327

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
321
LA THÉORIE DES MARÉES ET L’ASTROLOGIE

la peur. La tristesse a engendré l’air. « Au sein de tous ces éléments, d’ailleurs, réside le feu, qui est la destruction et la mort, de même qu’en toutes les passions, se cache l’ignorance ».

L’homme corporel[1] est formé de cette matière, de cette ὕλη pétrie des passions d’Achamôth, tandis que l’homme spirituel est né d’Achamôth même.

Nous avons extrêmement abrégé cette étrange fable d’Achamôth, retranchant tous les épisodes qui ne contribuaient pas à l’idée que nous voulions mettre en lumière ; et cette idée est celle-ci : Selon la Gnose valentinienne, la matière dont les corps sont formés est chose essentiellement mauvaise.

Que la matière fût, en ce monde, le principe du désordre ou du mal, ce n’était pas un axiome spécial à la Gnose ; on le retrouverait, plus ou moins nettement formulé, dans un grand nombre de doctrines philosophiques. Le célèbre médecin Galien (131-201 ?), par exemple, était à peu près contemporain du gnostique Valentin. Or il enseignait qu’ici-bas, tout ordre et toute régularité proviennent du gouvernement des astres ; le désordre, l’irrégularité ont donc leur cause dans la région sublunaire du Monde, dans les éléments et dans la matière. Au § XIII, nous entendrons cet enseignement galénique.

Plotin connaissait fort bien les dogmes des Gnostiques, car il a vivement critiqué[2] ceux qu’il n’a pas admis ; il en a, d’ailleurs, reçu plusieurs ; ce qu’il a dit de la procession de l’Intelligence et de l’Âme à partir de la Cause première rappelle, en plus d’un point, ce que Valentin professait touchant l’émission des premiers Éons ; ne nous étonnons donc point si l’influence de la Gnose a pu lui suggérer la doctrine qu’il développe au sujet du principe du mal.

L’Un, l’Intelligence, l’Âme, tous les êtres du Monde intelligible, disait Plotin[3], sont bons, et tout ce qui émane d’eux est bon. « Si donc[4] tous les êtres véritables (τὰ ὄντα) et Celui qui est au-dessus d’eux sont ce que nous avons dit, le mal ne saurait se trouver ni dans les êtres ni dans celui qui surpasse tous les êtres, car ils sont tous bons. Puis donc que le mal existe, il reste qu’il se doit trouver dans les êtres comme une sorte d’image du non-être ; il se doit rencontrer dans une chose qui soit mélangée de non-être ou qui ait, de quelque façon, commerce avec le non-être. Par non-être,

  1. S. Irénée, loc. cit., 6 ; éd. cit., coll. 501-504.
  2. Plotini Enneadis IIœ lib IX ; éd. Didot. pp. 94-110.
  3. Plotini Enneadis Iœ lib VIII, cap. II ; éd. Didot. p. 41.
  4. Plotini Enneadis Iœ lib VIII, cap. III ; éd. Didot. p. 41.