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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

est le corps ? C’est ce qui est lourd, matériel, terrestre, ce qui est doué d’ombre.

» Il faut donc dépouiller la matière. Mais comment dépouillera-t-on la matière, si ce n’est par la médecine écarlate ? Et qu’est-ce que dépouiller ? C’est humilier, détruire, dissoudre, mortifier ; c’est, enfin, soutirer toute la matière matérialisée (ἐνυλος ὕλη) que contient le métal, celle qui est fort épaisse, afin que l’esprit, qui est le principe tinctorial, puisse être appliqué à l’achèvement de l’œuvre qu’on veut accomplir. »

Cette âme, ce souffle qui se trouve uni au corps d’un métal et qu’on s’efforce d’en détacher, l’alchimiste le regarde comme un principe actif qui façonne et informe la nature corporelle ; de plus, il lui attribue une origine céleste ; écoutons Étienne d’Alexandrie[1]  :

« Ô natures célestes, qui êtes les artisans des natures Ὧ φύσεις οὐρανίαι, φύσεων δημιουργοί !… Si tu ne dépouilles pas la matière ; si, des corps, tu ne fais pas des choses incorporelles (εἰ μὴ τὰ σώματα ἀσωματώσεις) ; si tu ne les détruis pas afin de les débarrasser violemment et de les dissoudre, tu ne feras pas sortir ce qui se cache en eux, le principe animé qu’ils renferment. Si tu n’as pas, par ces opérations régulières, rendu les corps incorporels, tu ne pourras donner corps et forme aux essences.

» Ô natures célestes ! Comme l’âme est pure et immatérielle, qu’elle a été introduite dans le corps par la Sagesse suprême, elle informe le corps au sein duquel elle demeure et dans lequel elle est retenue.

» Ô natures célestes ! Admirons les natures des choses célestes parce qu’elles sont incorporelles. Il faut donc dépouiller la matière, afin d’en faire sortir ce qui est subtil et animé et, avec ce résidu qu’on en a tiré, rendre incorporels, soutenir et informer les corps. Il faut donc dépouiller la matière afin de parvenir au principe animé qu’on aura, de la sorte, amené à maturité. Dissoudre le corps, et séparer l’âme d’avec le corps, voilà le terme de la Philosophie. — Ὅρος φιλοσοφίας ἐστὶ ϰατάλυσις σώματος ϰαὶ χωρισμὸς ψυχῆς ἀπὸ τοῦ σώματος

» Ô natures célestes qui êtes les artisans des natures ! C’est la nature même qui, par elle-même, a été bien dirigée, et qui s’est dévoilée elle-même…

» Ce sont des natures célestes que les essences incorporelles. — Οὐράνιαι φύσεις εἰσὶν αἱ ἀσώματοι οὐσίαι. — Quelle est donc l’œuvre

  1. Stephani Alexandrini Op. laud., lib. IV ; éd. cit., pp. 215-216.