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LA THÉORIE DES MARÉES ET L’ASTROLOGIE

Mais l’existence manifeste d’une tache sur la Lune nous permet-elle de garder cette supposition ? Pour expliquer cette tache, ne faudra-t-il pas admettre que cet astre est forme par le mélange de diverses substances ? Et tout ce qui est mélangé n’est-il pas, par là même, capable de pâtir ?

Il contredit, en second lieu, aux objections contre la pluralité des mondes que le Péripatétisme empruntait à la théorie du lieu naturel[1] : mais cette théorie, il la rejette de la manière la plus formelle ; tout ce qu’Aristote, tout ce que les Stoïciens ont enseigné des mouvements naturels propres soit aux éléments, soit à la substance céleste, il le regarde comme fondé sur un principe dénué de sens.

« Lorsqu’Aristote dit que certains corps se meuvent de haut en bas vers le centre[2], que d’autres se meuvent de bas en haut à partir du centre, et d’autres, enfin, en cercle autour du centre, par rapport à quoi prend-il ce centre ? πρὸς τί λαμϐάνει τὸ μέσον ; Certes, ce n’est pas par rapport au vide, car, à son avis il n’y a pas de vide. Pour ceux qui admettent, le vide, d’ailleurs, ce vide n’a pas de centre, car il n’a ni commencement ni fin ; le commencement et la fin sont, en effet, des bornes ; or le vide est infini et sans borne »

En prétendant que le monde occupe éternellement le centre de ce vide infini, Chrysippe n’est pas moins ridicule[3] que ne l’était Épicure en affirmant « que tous les atomes se meuvent vers les lieux situés sous nos pieds, comme si le vide avait des pieds ! »

Plutarque rejette donc la théorie péripatéticienne et stoïcienne du lieu naturel pour reprendre le système que Platon avait ébauché au Timée[4], qu’Aristote avait vivement combattu[5]. « Puisque tout corps dense, écrit-il[6], se réunit en une même masse et, par toutes ses parties, presse vers son centre, ce n’est pas à titre de centre de l’Univers, mais c’est plutôt parce qu’elle est un tout, que la terre s’appropriera les corps pesants, qui sont ses parties οὐχ ὡς μέσον οὖσα τοῦ Παντὸς ἡ γῆ μᾶλλον, ἢ ὡς ὅλον, οἰϰειώσεται μέρη αὐτῆς ὄντα τὰ βάρη). Ce qui caractérise les corps pesants, ce n’est pas le besoin de se placer au centre à l’égard du Monde, c’est une certaine communauté, une certaine ressemblance de nature qu’ont,

  1. Voir Chapitre IV, § XVI ; t. I, pp. 230-234.
  2. Plutarque, De defectu oraculorum, cap. XXVI (Plutarchi Opera moralia, éd. Didot, vol. I, p. 516).
  3. Plutarque, Op. laud., cap. XXVIII, éd. cit., p. 517.
  4. Voir Chapitre II, § VI ; t. I, pp. 49-51.
  5. Voir Chapitre IV, § XII ; t. I, pp. 206-210.
  6. Plutarque, De facie in orbe Lunœ cap. VIII ; éd. cit., p, 1132.