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LA COSMOLOGIE DES PÈRES DE L’ÉGLISE


rels, qui ont cru devoir soumettre toutes nos connaissances à la mesure de ces règles infidèles et trompeuses. Tels sont les Épicuriens, et d’autres encore ; tels aussi les Stoïciens ; grands amateurs de l’art de discuter, qu’ils nomment Dialectique, ils ont pensé que cette Dialectique se devait tirer des sens corporels ; c’est par eux, prétendent-ils, que l’esprit conçoit ces notions des choses qu’ils nomment èvvoiai et que l’on développe lorsqu’on donne une définition ; c’est des sens que s’extrait, c’est aux sens que se rattache la raison de tout ce qu’on apprend comme de tout ce qu’on enseigne ». Dirigée contre les Stoïciens, cette attaque frappe aussi bien la doctrine des Seconds analytiques.

La méthode aristotélicienne, qui doit prendre les enseignements de la perception sensible pour base de toute la Philosophie, contraint ceux qui la veulent suivre à s’attarder fort longtemps aux questions de Logique et de Physique ; c’est seulement à son terme qu’elle leur permet d’accéder aux vérités de la Théologie. Tout au contraire, sur les ailes de l’intuition, la pensée platonicienne s’élève d’emblée jusqu’à Dieu, et c’est de là qu’elle considère les choses inférieures. C’est pourquoi la méthode de Platon paraît à Saint Augustin meilleure que celle d’Aristote et de ses imitateurs. « C’est pour cela, dit-il[1], que nous préférons les disciples de Platon aux autres philosophes ; ceux-ci, en effet, ont écrasé leur génie et leur peine pour les abaisser à rechercher les causes des choses [d’ici-bas], à examiner les règles de la science et de la vie ; ceux-là, au contraire, dès là qu’ils ont connu Dieu, ont découvert la cause par laquelle Univers a été constitué, la lumière qui rend la vérité perceptible, la source où nous devons boire la félicité. » N’est-ce pas, en effet, la démarche qui convient le mieux à l’esprit du chrétien ? « Qu’un chrétien ignore les écrits des philosophes ; qu’il ne sache pas employer, dans la discussion, les termes qu’on ne lui a pas enseignés ; qu’il n’appelle pas Science naturelle en Latin ou Physique en tirée cette partie de la Philosophie où l’on s’enquiert de la nature ; qu’il ne nomme pas lîationnelle ou Logique celle où l’on examine comment la vérité peut être connue, Morale ou Éthique celle où l’on traite des mœurs, des biens qu’il convient de rechercher, des maux qu’il faut fuir ; il n’ignore pas, pour cela, que nous tenons notre nature d’un vrai Dieu unique et parfaitement bon, qui nous a faits à son image ; il n’ignore pas la science qui nous fait connaître Dieu et nous-même ni la grâce qui nous rend heureux en nous unissant à lui. »

  1. S. Aurelii Augustini Op. laud., lib. VIII, cap, X.