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LA COSMOLOGIE DES PÈRES DE L’ÉGLISE

du fruit de l’arbre de la science du bien et du mal. Lorsqu’il parle de la Bible, il lui arrive[1] de la nommer l’Écriture (Scriptura). « Le très sage Moïse, dit-il encore[2], qu’animait non pas l’éloquence humaine, mais, dit-on, l’inspiration divine, enseigne, au livre qui est intitulé De la génération du Monde », que la matière première a été créée.

Ces divers propos semblent révéler, en Chalcidius, un juif ou un chrétien. Ce commentateur, d’ailleurs, paraît fort au courant des travaux exégétiques des interprètes, juifs ou chrétiens, de la Genèse. À propos d’un verset de ce livre[3], il cite la version des Septante, celle d’Aquila, celle de Symmaque de Samarie, les objections qu’Origène, en ses Hexaples, adressait à la traduction de Symmaque ; une telle érudition semble le fait d’un homme très versé dans la controverse judéo-chrétienne.

Mais, après qu’il a cité un proverbe de Salomon, Chalcidius s’exprime en ces termes[4] : « Par là, Salomon indique clairement que le Ciel et la Terre ont été faits sous la présidence de la Sagesse divine, et que cette Sagesse divine est le principe de l’Univers. Il résulte de là que la Sagesse a été faite par Dieu, mais qu’elle n’a pas été faite en un temps déterminé ; jamais, en effet, aucun temps n’a été où Dieu fût sans Sagesse ».

Cette Sagesse éternelle, mais créée, ce n’est pas le Verbe de Saint Jean, mais la Σοφία de Philon d’Alexandrie ; d’ailleurs, quelques lignes plus loin, nous lisons le nom du grand philosophe juif.

C’est donc de celui-ci, non des docteurs chrétiens, que Chalcidius paraît, ici, le disciple ; en d’autres endroits, sa pensée s’affirme avec une plus grande netteté au sujet de cette Sagesse divine, à laquelle il donne plus volontiers le nom de Providence :

« Nous qui suivons la loi divine, dit-il[5], reprenons à partir du commencement, et dans un ordre soigneusement arrangé, ce que Platon a dit du Fatum ; il me semble, en effet, que ses paroles sont inspirées par l’instinct de la vérité même.

» En premier lieu, toutes les choses qui existent, et le Monde lui-même sont contenus et dirigés principalement par le Dieu souverain, qui est le souverain Bien… Ils le sont ensuite par la Providence, dont l’éminence suit immédiatement ce Dieu souverain ; c’est elle que les Grecs nomment Νόος et Πρόνοια. Essence intelli-

  1. Chalcidii Op. laud., CCLXXVI ; loc. cit., p. 241.
  2. Chalcidii Op. laud., CCLXXIV ; loc. cit., p. 240.
  3. Chalcidius, Ibid.
  4. Chalcidius, Ibid.
  5. Chalcidii Op. laud., CLXXIV et CLXXV ; loc. cit., p. 219.