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L’ASTRONOMIE LATINE AU MOYEN ÂGE

n’existait un sujet dans lequel il soit ; et ce sujet ne peut être que la Sylva, la raison nous l’atteste.

» L’air, à son tour, dirons-nous, possède deux qualités, la chaleur et l’humidité ; d’autre part, il est certain que l’eau se trouve douée de deux qualités, l’humidité et le froid, il y a donc deux qualités contraires l’une à l’autre, dont chacune est propre à l’un de ces corps ; le froid est particulier à l’eau et la chaleur à l’air ; mais l’humidité leur est commune. Lors donc que l’eau se résout en vapeurs et passe ainsi à l’état d’air, cet air provenant de la conversion de l’eau, il se produit un passage du froid au chaud ; mais l’humidité, qualité commune, demeure, bien qu’elle ne subsiste ni au sein de l’eau ni au sein de l’air. Toutefois, il est nécessaire qu’elle soit quelque part ; elle sera donc en la Sylva.

» De même encore le feu a deux qualités, la sécheresse et la chaleur ; l’air, comme nous l’avons dit tout à l’heure, a la chaleur et l’humidité ; la qualité commune à ces deux éléments consiste en la chaleur, tandis que la sécheresse est propre au feu et l’humidité à l’air. Lors donc que l’air s’embrase et qu’il est en train de se convertir en la nature du feu, l’humidité passe à l’état de sécheresse, mais la chaleur, qualité commune, demeure, bien qu’elle ne réside plus ni dans le feu ni dans l’air ; mais elle ne peut pas être nulle part ; elle est donc dans la Sylva.

» Il est clair par là que tout changement d’un corps en un autre nous fait découvrir la Sylva, à titre de fondement primitif et premier ; elle est comme la cire molle en laquelle s’impriment divers caractères ; elle est le réceptacle commun d’où se tire tout ce qui peut être engendré. »

Dans ce sujet permanent qu’est la Matière première, un continuel changement de qualités transforme les éléments les uns dans les autres ; cette perpétuelle mutation, Lhalcidius nous la décrit, en ces termes[1], où nous retrouvons, assez fidèlement interprétée, la pensée même de Platon[2] :

« Lorsque le feu se change en air, il se transforme en une substance qui diffère de lui et lui est contraire. Il est certain, toutefois, que l’essence de ce feu ne saurait rien recevoir eu soi qui lui soit contraire ; mais autour d’une même essence, se produit un échange de choses contraires. La conversion et le changement n’atteignent donc pas l’essence, mais les qualités, dans lesquelles se rencontrent diversité et contratriété.

» Il en est de même des autres éléments. Aucun d’entre eux n’a

  1. Chalcidii Op. laud., CCCXXIII ; loc, cit., p. 250.
  2. Voir : Première Partie, Chapitre II, § I : t. I, p. 31.