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LA COSMOLOGIE DES PÈRES DE L’ÉGLISE

d’essence qui lui soit propre. C’est seulement pour nous conformer à l’usage que nous leur donnons des noms qui désignent l’essence, alors que nous devrions leur donner des noms appropriés à la qualité. Toujours, en effet, et sans aucun répit, ces éléments s’écoulent en se transformant les uns en les autres ; à peine avons-nous eu le temps de les nommer que quelque transmutation les change ; on les dirait entraînés par quelque torrent qui roule et se précipite d’un élan que rien ne saurait réfréner. »

La pensée de ce flux perpétuel qui, sans cesse, transmue les éléments les uns en les autres est une de celles que certains physiciens du Moyen Âge et, en particulier, Jean Scot Érigène se plairont à contempler.

Pour que ce flux puisse parcourir la suite des quatre éléments, il faut que ceux-ci soient rangés suivant un ordre bien déterminé sur le cycle qu’il décrit ; la terre peut se changer en eau, l’eau en air, l’air en feu, le feu en terre ; d’un élément au suivant, le passage est assuré par la qualité qui leur est commune ; le froid préside ainsi à la première transformation, l’humidité à la seconde, la chaleur à la troisième, la sécheresse à la quatrième.

Le principe de toute cette théorie est tiré, par Chalcidius, non de Platon, mais d’Aristote.

Aristote avait déjà remarqué[1] que deux éléments pouvaient avoir en commun une certaine qualité ; l’eau, par exemple, est froide et humide, tandis que l’air est humide et chaud ; une telle qualité commune constitue ce que le Stagirite nomme un symbole. Le feu et l’eau n’ont pas de symbole ; les deux qualités du feu, qui sont la chaleur et la sécheresse, sont respectivement opposées aux deux qualités de l’eau, qui sont le froid et l’humidité.

« Lorsque deux éléments ont un symbole, poursuit le Philosophe, le changement de l’un en l’autre est rapide ; il est lent lorsque les éléments n’ont pas de symbole ; en effet, il est plus facile de changer une seule qualité que d’en changer plusieurs. Par exemple, à partir du feu, l’air pourra être engendré, l’élément altéré subissant un changement unique ; le feu, en effet, est chaud et sec ; l’air est chaud et humide ; que la sécheresse soit vaincue par l’humidité, et l’air prendra naissance. De même, l’air se transformera en eau, pourvu que le froid vainque le chaud ; l’air, en effet, est humide et chaud, l’eau est froide et humide ; que la chaleur se change en froid, et l’eau prendra naissance. De la même manière, l’eau sera transmuée en terre, et la terre en feu ; car de

  1. Aristotelis De generatione et corruptione lib. II, cap. IV (Aristotelis Opera, ed. Didot, t. II, pp. 457-458 ; éd. Bekker, vol. I, p. 331).