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LA COSMOLOGIE DES PÈRES DE L’ÉGLISE


IV
LES PÈRES DE L’ÉGLISE ET LA MATIÈRE PREMIÈRE. SAINT BASILE.
SAINT GRÉGOIRE DE NYSSE

S’il est un problème de Physique qui appelait l’attention des lecteurs du faux Ocellus et de Chalcidius, c’est assurément le problème de la matière première. Or, ce problème préoccupait aussi, à un haut degré, les Pères de l’Église. Au dogme chrétien de Dieu créateur de toutes choses, est-il une affirmation qui s’oppose plus brutalement que la théorie péripatéticienne de la matière première, éternelle et dénuée de toute cause ?

De cette théorie de la matière première, certains hérétiques voulaient, dans la Genèse, trouver la justification. Ils prétendaient, nous dit Saint Basile[1], reconnaître la description de la ὕλη, dans cette phrase de l’Auteur sacré : « Ἡ δὲ γῆ ἦν ἀόρατος ϰαὶ ἀϰατασϰεύαστος, terra autem erat invisibilis et incomposita ». Cette terre invisible et privée de tout arrangement, qu’était-ce, sinon la matière première, dénuée de toute forme et de toute figure ?

On allait même plus loin, au dire de Saint Ambroise[2]. Dans ce verbe : ἦν, erat, était séparé de toute détermination, on voyait l’affirmation de l’éternité de la matière première. « Voilà donc que la matière, que la ὕλη, comme disent les philosophes, selon l’enseignement même de la Sainte Écriture, n’a pas eu de commencement ».

Or, de la matière, les Stoïciens et les Néo-platoniciens faisaient, volontiers, le principe du désordre et du mal qui se rencontrent dans le monde sublunaire ; tout ordre et tout bien découlaient, au contraire, des circulations des corps célestes. Nous avons, en particulier, entendu[3] Galien et Plotin développer cette doctrine.

Par là, les disciples de Marcion et de Valentin[4] s’emparaient de la matière première péripatéticienne, dont l’éternité leur paraissait affirmée par la Genèse, et ils l’identifiaient avec le principe incréé du mal qu’admettait leur Manichéisme.

On comprend que les Pères de l’Église grecque comme ceux de

  1. S. Basilii Homilia II in Hexaemeron, 2 [S. Basilii Opera, accurante Migne, t, I (Patrotogiœ grœcœ, t. XXIX), coll. 20-32].
  2. S. Ambrosii Hexaemeron, liber I, cap. VII [S. Ambrosii accurante J. P. Migne, t. I, pars I (Patrotogiœ latinœ t. XIV), coll. 135-136].
  3. Voir Première partie, ch. XIII, § VIII et § XIII ; t. II, pp. 321-323 et 366-367.
  4. S. Ambrosii Op. laud., lib. I, cap. VIII, éd. cit., col. 139.