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L’ASTRONOMIE LATINE AU MOYEN ÂGE

« Les ténèbres étaient répandues sur la face de l’abîme[1]… Mais cet abîme primitif n’était quasi qu’un néant (illud autem totum prope nihil erat), parce qu’il était tout à fait informe ; c’était néanmoins quelque chose qui pouvait prendre une forme. Ainsi vous avez fait le Monde, Seigneur, d’une Matière tout informe, que vous avez créée de rien, n’étant par elle-même presque rien (quam fecisti de nulla re pene nullam rem) pour vous en servir à former tous ces grands ouvrages qui font l’admiration des hommes… C’est donc de cette Terre invisible et déserte, de cette Matière informe, de ce presque rien que vous avez fait toutes les choses par lesquelles ce Monde inconstant subsiste et ne subsiste pas, ce Monde où la mutabilité commence à paraître ; où l’on peut remarquer et compter les temps, parce qu’ils naissent des changements mêmes de ces choses qui, ayant pour Matière cette Terre invisible dont j’ai parlé, s’altèrent ou changent ».

Cette Terre invisible était « si basse et si informe[2], que, ne pouvant en aucune sorte changer d’une forme en une autre, pour passer du repos au mouvement ou du mouvement au repos, elle ne peut aussi être assujettie au temps. Mais vous ne l’avez pas laissée en cet état, puisque, dès le commencement, et avant qu’il y eût aucun jour, vous avez créé ce Ciel et cette Terre dont j’ai parlé. Mais la Terre était invisible et déserte, et les ténèbres étaient répandues sur l’abîme. Ces paroles sont dites pour instruire peu à peu et par degrés ceux qui ne sauraient comprendre qu’une chose puisse être privée de toute sorte de forme, sans être néanmoins réduite au néant, et pour marquer sous ces voiles cette autre Matière informe dont Dieu devait se servir pour former un autre Ciel et une Terre visible parfaitement bien ornée… ».

Cette pensée de la matière première ne cesse de se présenter à l’esprit de Saint Augustin dans ses divers commentaires à la Genèse ; elle s’offre constamment à lui sous la forme que nous lui avons vu prendre aux Confessions ; elle est le fonds commun, informe et chaotique, que Dieu a créé tout d’abord, et d’où il a tiré ensuite, par voie d’information, toute la création corporelle, voire même, peut-être, les créatures spirituelles.

Dans ces commentaires, Saint Augustin ne donne jamais, sous forme d’affirmations, un enseignement catégorique ; son intelligence, consciente de la difficulté des questions qu’elle examine, présente successivement les explications différentes entre les-

  1. Saint Augustin loc. cit., Ch. VIII.
  2. Saint Augustin loc. cit., Ch. VIII.