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LA COSMOLOGIE DES PÈRES DE L’ÉGLISE

quelles elle hésite, et les propose sous la forme dubitative de l’interrogation.

Au commentaire littéral inachevé, l’évêque d’Hippone propose diverses interprétations de ce texte : In principio fecit Deus cælum et terrant. Voici celle qu’il présente en dernier lieu[1] et qu’il semble préférer aux autres :

« Par ces noms de ciel et terre, l’Auteur sacré n’a-t-il point voulu désigner surtout la matière informe de tout l’Univers, qui, par l’ordre ineffable de Dieu, a été transmuée en ces natures pourvues de forme et de beauté ?… Quelle que soit, en effet, la nature de cette matière, nous ne pouvons pas dire qu’elle n’a pas été créée par lui, car nous croyons et confessons que tout vient de lui… Cette matière est appelée ciel et terre, parce qu’elle est comme la semence du ciel et de la terre ; elle est appelée ciel et terre, parce qu’elle est quelque chose de confus et de mélangé qui est adapté à recevoir les formes que lui donnera l’Artisan divin ».

C’est probablement[2] cette même matière que l’Auteur de la Genèse a voulu désigner sous le nom de terre, lorsqu’il a dit : Terra autem erat invisibilis et incomposita, et tenebræ erant super abyssum. « La confusion dans laquelle se trouve la matière a pu être insinuée de la sorte en l’intelligence populaire ; elle a pu être comparée à une terre invisible, sans composition, sans ordre, sans parure ; les ténèbres étaient sur l’abîme, c’est-à-dire au-dessus d’une très vaste profondeur ; et cette matière a peut-être reçu ce nouveau nom de profondeur, parce que son absence de forme ne permet pas que l’intelligence d’aucun homme la puisse pénétrer ».

Par ces mots : Et tenebrœ erant super abyssum, « n’est-ce pas encore[3] la confusion de la matière qui nous est exposée, cette confusion que les Grecs ont nommée χαός ? »

N’est-ce pas encore la même matière première[4] qui prend le nom d’eau dans ce texte : Et Spirilus Dei ferebatur super aquam ? « Le nom d’eau représenterait la matière soumise à l’opération de l’Artisan ; l’eau est, en effet, plus mobile que la terre ; la matière soumise à l’Artisan mériterait donc, pour désigner l’aisance de l’opération qu’elle doit subir et son mouvement plus facile, de s’appeler eau plutôt que terre…

  1. S. Aurelii Augustini De Genesi ad litteram liber imperfectus ; Cap. III, art. 10.
  2. S. Aurelii Augustini Op. laud., Cap. IV, art. 11.
  3. S. Aurelii Augustini Op. laud., Cap. IV, art. 12.
  4. {sc|S. Aurelii Augustini}} Op. laud., Cap. IV, artt. 12 et 13.