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LA COSMOLOGIE DES PÈRES DE L’ÉGLISE

l’élasticité. Selon la Physique du Portique, la matière et le souffle existaient tous deux, au même titre, d’une manière actuelle ; d’une matière première douée seulement de l’existence en puissance, il n’était plus question.

Tout en gardant, dans leur système philosophique, la matière première, la ὕλη, les Néo-platoniciens étaient arrivés à la concevoir tout autrement que ne le faisait Aristote ; et la description qu’en donnaient Plotin et ses disciples était déjà bien voisine de celle qu’en donnera l’Évêque d’Hippone.

Plotin consacre tout un livre, le quatrième, de la seconde Ennéade, à traiter de la matière première ; à quel point ce qu’il en dit s’éloigne du Péripatétisme, nous en aurons déjà une idée lorsque nous aurons remarqué que les mots existence en puissance ne se rencontrent pas une fois au cours de ce livre ; il faut, pour les lire, attendre au livre suivant.

À la vérité, pour démontrer que les corps divers admettent un fonds, un support (ὑποϰείμενον) commun qui demeure, tandis que leurs formes élémentaires se changent les unes dans les autres, pour en conclure que les éléments sont composés de matière et de forme, les Ennéades parlent, tout d’abord[1], comme le faisait la Physique d’Aristote. Mais bientôt, Plotin s’attache à établir une proposition à laquelle le Stagirite ne s’était guère arrêté.

Non seulement, au gré de l’Auteur néo-platonicien, la matière ne possède aucune forme, aucune qualité, mais elle ne possède, par elle-même, aucune grandeur[2]. « Même cela, ce qui est purement et simplement matière doit le tenir d’ailleurs. — Τὴν δ’ ἁπλῶς δεῖ ϰαὶ τοῦτο παρ’ ἄλλου ἔχειν. »

Il ne faut donc pas concevoir la matière à la façon d’un corps qui aurait longueur, largeur et profondeur, qui serait grandeur, volume (ὄγϰος), mais qui n’aurait aucune autre qualité, et penser qu’ensuite la forme s’unit à ce volume. C’est parce que certains ont ainsi conçu la matière comme un volume vide, qu’ils ont identifié la matière avec le vide. « Cela, donc, qui est appelé à recevoir la forme, ne doit pas déjà être un volume, mais il lui faut, en même temps, devenir volume et recevoir une autre qualité. Οὐ τοίνυν ὄγϰον δεῖ εἶναι τὸν δεξόμενον τὸ εἶδος, ἀλλ’, ὁμοῦ τῷ γενέσθαι ὄγϰον, ϰαὶ τὴν ἄλλην ποιότητα δέχεσθαι. »

Dans la matière première, poursuit Plotin, on doit seulement trouver une image, une apparence, un fantôme de volume : « Καὶ

  1. Plotini Enneadis IIœ lib. IV, cap. VI (Plotini Enneades Éd. Ambroise Firmin Didot, Parisiis, MDCCCLV, p. 74).
  2. Plotini Enneadis IIœ lib. IV, cap. XI ; éd. cit. p. 77.