Page:Duhem - Le Système du Monde, tome II.djvu/444

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
438
L’ASTRONOMIE LATINE AU MOYEN ÂGE

dit, Dieu les ait faites l’une et l’autre en même temps. Ce qui, dans l’opération divine, a seulement une priorité d’origine, se trouve aussi, dans le récit, avoir une priorité de temps…

» Soyons donc assurés que cette matière informe, voisine du néant, n’existe que parce qu’elle a été faite par Dieu, et que les choses qui ont été faites de cette matière ont été créées avec elle. »

Entre la matière première selon Aristote et la matière première selon Saint Augustin, le contraste est si grand qu’il n’est pas besoin d’une longue attention pour le remarquer. Il est clair que l’existence de la matière augustinienne n’est pas une simple existence en puissance ; si proche du néant que soit cette existence, elle est déjà quelque chose d’actuel. Cela seul explique que la matière, au lieu d’être nécessaire et éternelle, ait été créée par Dieu.

Au xiiie siècle et au début du xive siècle, il y aura grande guerre entre la Philosophie péripatéticienne et la Philosophie augustinienne. En ce temps-là, autour de la notion de matière première, on bataillera chaudement.


VI
LES ORIGINES NÉO-PLATONICIENNES DE LA NOTION DE MATIÈRE PREMIÈRE,
TELLE QUE SAINT AUGUSTIN LA CONÇOIT

Saint Augustin eût peut-être hésité à modifier si profondément la notion péripatéticienne de matière première si celle-ci lui était parvenue parfaitement nette et exempte de toute altération. Mais cette notion qui joue, dans toute la Métaphysique d’Aristote, un rôle si essentiel et, en même temps, si particulier à cette Métaphysique, n’a pu demeurer bien longtemps telle que le Stagirite l’avait conçue. Déjà, nous l’avons dit d’après M. Albert Rivaud[1], Théophraste s’écartait, à ce sujet, de renseignement de Son maître.

Plus pleinement encore, les Stoïciens[2] avaient oublié le sens qu’Aristote attribuait au mot ὕλη ; pour eux, la matière, la ὕλη, c’était cet élément auquel les corps doivent d’être denses et impénétrables, tandis que du souffle, du πνεῦμα, ils tiennent

  1. Voir : t. I, pp. 242-243.
  2. Voir : Première Partie, Ch. V, § IX ; t. I, pp. 301-305.