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LA COSMOLOGIE DES PÈRES DE L’ÉGLISE

traits d’encre qui semblaient faits à la même place ; mais lorsque le mouvement avait pris fin, les deux marques qu’il avait faites se montraient, sur le bord de la roue, a une distance notable l’une de l’autre. Ainsi, disait-il, lors même qu’un jumeau naîtrait aussi peu de temps après son jumeau qu’il s’en est écoulé entre les deux fois où j’ai marqué la roue, cette durée correspondrait dans le ciel, qui tourne avec une si grande vitesse, à un intervalle beaucoup plus considérable ; de là, toutes les dissemblances qui se rencontrent entre les mœurs, entre les sorts de deux jumeaux. »

À cette réponse, L’Évêque d’Hippone oppose, à son tour, deux arguments ; voici le premier[1] :

« Le moment de la conception est assurément le même pour deux jumeaux ; d’où vient donc que, sous la même constellation qui fixe nécessairement le sort (constellalio fatalis), l’un puisse être conçu mâle et l’autre femelle ? »

Le second argument marque la pénétration d’esprit de Saint Augustin ; celui-ci avait clairement aperçu la vérité suivante ; Pour que le déterminisme qui régit un certain ordre de choses nous permette, en cet ordre, de former des prévisions, il ne suffit pas que les mêmes causes entraînent toujours les mêmes effets ; il faut encore que des causes peu différentes produisent des effets peu différents. Car nous n’avons jamais affaire, deux fois de suite, à des causes parfaitement identiques ; en deux cas, si semblables qu’on les suppose, les causes diffèrent toujours par de légères particularités ; si ces faibles diversités étaient susceptibles de déterminer, entre les effets, de très grandes divergences, nous ne pourrions jamais, de ce qui est advenu dans un cas, conclure à ce qui arrivera dans l’autre.

Or, si l’on admet la réponse de Nigidius, on doit croire qu’une variation insignifiante dans l’horoscope, telle la différence très faible qui existe entre les horoscopes de deux jumeaux, entraîne, dans la vie que cet horoscope prétend présager, non des différences légères et accidentelles, mais des changements profonds et essentiels.

« Diront-ils[2] que cet intervalle de quelques minutes qui peut séparer la naissance de deux jumeaux a trait à de très petites choses, dont les mathématiciens n’ont point coutume de tenir compte ? Qui se préoccupe de savoir, en effet, à quel moment un des jumeaux s’asseoira, à quel moment il se promènera, à quel

  1. S. Aurelii Augustini Op. laud., lib. V, cap. VI.
  2. S. Aurelii Augustini Op. laud., lib. V, cap. III.