Page:Duhem - Le Système du Monde, tome II.djvu/462

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
456
L’ASTRONOMIE LATINE AU MOYEN ÂGE

Si les astrologues avaient gardé cette réserve, Saint Augustin eût été disposé à ne pas contester avec eux ; la prétention qu’ils ont de tout soumettre au fatalisme le pousse à discuter la légitimité des principes qu’ils invoquent : « Lorsque les astrologues[1] tentent d’enchaîner nos actes mêmes aux positions des astres, ils nous engagent à chercher comment on pourrait les empêcher d’invoquer cette raison, même au sujet des corps ».

Qu’est-ce donc que Saint Augustin va objecter aux principes de l’Astrologie ? Il montrera que la fausseté en peut être prouvée par cet axiome : Les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets.

« Comment admettre[2] que, par le choix du jour où on les accomplit, on puisse assurer tel ou tel sort à ses actions ?… On ne veut pas remarquer que, pour ensemencer un champ, un certain jour a été choisi, qu’une multitude de grains tombent à terre en même temps, germent en même temps, puis, après avoir levé, sont, en même temps, à l’état d’herbe, croissent, jaunissent en même temps ; et cependant, de ces épis, qui sont, pour ainsi dire, « congerminaux », les uns sont attaqués par la nielle, les autres ravagés par les oiseaux, d’autres encore coupés par les hommes. Pour ces épis qui, sous leurs yeux, ont des sorts si divers, comment pourront-ils dire que les constellations furent différentes ? Ou bien se refuseront-ils à faire choix d’un jour pour ces sortes de choses, diront-ils qu’elles sont étrangères au destin céleste et ne subordonneront-ils aux astres que les hommes, les seuls êtres sur terre à qui Dieu ait donné un libre arbitre ? »

Cette échappatoire même ne servirait de rien. Au lieu de raisonner sur des grains de blé, on peut raisonner de même sur des hommes ; deux jumeaux ont même horoscope ; et cependant, dans bien des cas, quelle différence entre les sorts que la vie leur réserve !

Cette objection avait se dresser fréquemment devant les affirmations des astrologues. Cicéron la leur avait vivement opposée[3]. Saint Augustin nous apprend[4] comment y répondait un certain Nigidius († 45 av. J.-C.), souvent cité par Aulu-Gelle, que cette réponse avait fait surnommer le Potier (Figulus).

« Il lançait une roue de potier avec toute la force possible ; puis, tandis qu’elle tournait, il en marquait très vite le bord de deux

  1. Saint Augustin, loc. cit.
  2. S. Aurelii Augustini Op. laud., lib, V, cap, VII.
  3. M. T. Ciceronis De division lib. II, cap. XLIII.
  4. S. Aurelii Augustini Op. laud., lib. V, cap. III.