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L’ASTRONOMIE LATINE AU MOYEN ÂGE

Au prochain chapitre, nous verrons Isidore de Séville emprunter textuellement à Saint Ambroise ce passage que l’Evêque de Milan devait lui-même à Saint Basile.


XI
LA NOTION DE CRÉATION ET LA THÉORIE DU TEMPS

La théorie néo-platonicienne du temps était intimement liée à l’hypothèse de la Grande Année. La durée qui sépare deux retours au même état de l’Univers périodique était, pour les philosophes, le véritable étalon de temps. Ce principe essentiel de leur doctrine tombe en ruine dès là qu’on affirme, avec Saint Augustin[1] « que ces cycles par lesquels les mêmes choses reviendraient périodiquement n’ont pas lieu et, en particulier, se trouvent démontrés faux par la vie éternelle des bienheureux ».

Ce n’est pas seulement en niant la périodicité du Monde que la doctrine chrétienne se trouve contredire aux antiques théories du temps ; elle y contredit non moins formellement en déclarant que le Monde est créé et qu’il a eu un commencement.

La notion de création est un non-sens dans la philosophie d’Aristote.

Cette philosophie ne connaît que deux sortes de substances, des substances séparées de toute matière et des substances formées par l’union d’une matière et d’une forme.

Les substances dénuées de matière, les intelligences, n’ont pu passer de l’existence en puissance à l’existence en acte, puisqu’en elles, l’absence de toute matière signifie qu’elles ne sont jamais en puissance d’aucune manière, qu’elles sont toujours en acte ; elles existent éternellement et ne peuvent pas ne pas exister ; elles sont donc nécessaires par nature, en sorte que, pour exister, elles n’ont pas besoin d’autrui ; leur existence ne requiert aucune cause créatrice ; cette existence incréée n’a pas eu de commencement.

Toute substance composée de matière et de forme a commencé d’exister en acte ; pour exister en acte, elle a requis l’action d’une autre substance actuelle, elle a eu besoin d’une cause génératrice. Mais avant d’exister en acte grâce à cette cause, elle existait en puissance, elle existait dans la matière première. Cette existence en

  1. S. Aurelii Augustini De Civitate Dei lib. XII, cap. IX.