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LA COSMOLOGIE DES PÈRES DE L’ÉGLISE

puissance n’a pas eu de commencement, car si une substance peut commencer d’exister d’une manière actuelle, il serait absurde de prétendre qu’elle a commencé à pouvoir être. Cette existence en puissance, elle ne la tient pas d’autrui, mais de sa propre nature ; si donc une substance composée de matière et de forme a une cause génératrice qui l’a fait passer de l’existence en puissance à l’existence en acte, elle n’admet pas une cause créatrice qui l’aurait fait passer de la non-existence à l’existence.

Ainsi les intelligences séparées ont une existence en acte qui est éternelle, nécessaire et incréée. La matière première a une existence en puissance qui est éternelle, nécessaire et incréée.

La matière première éternelle désire éternellement l’acte pur des intelligences éternelles et, pour l’acquérir, elle se meut. Aussi le mouvement est-il nécessaire et éternel. Il n’a pas commencé. Il n’y a pas de révolution de la sphère des étoiles fixes qui n’ait été précédée d’autres révolutions de cette même sphère ; il n’y a pas de première révolution de l’orbe inerrant.

Comme le temps est inséparablement lié au mouvement, et que le mouvement n’a pas eu de commencement, le temps, lui non plus, n’a pas eu de commencement ; de même qu’il n’y a pas eu de première révolution de la sphère inerrante, de même il n’y a pas eu de premier jour.

Comme le Péripatétisme, le Néo-platonisme admet l’éternité des êtres divins supérieurs à la matière et l’éternité de la matière première. Mais entre l’existence éternelle et l’existence nécessaire, il ne maintient plus ce lien inflexible qu’Aristote avait voulu établir. « Nécessairement et toujours, disait le Stagirite[1], vont ensemble… Si donc quelque chose est nécessairement, cette chose est éternelle ; et si elle est éternelle, elle est nécessairement. — Τὸ γὰρ ἐξ ἀνάγϰης ϰαὶ ἀεὶ ἅμα : … ὡστ’ εἰ ἔστιν ἐξ ἀνάγϰης, ἀΐδιον ἐστι, ϰαὶ εἰ ἀΐδιον, ἐξ ἀνάγϰης ». Le Néo-platonisme enseigne qu’une substance peut exister éternellement sans exister d’une manière nécessaire et par sa propre nature. Seul, l’Un a une existence qui résulte nécessairement de sa nature, qu’il ne tient que de lui-même ; les autres substances divines ont, il est vrai, une existence éternelle ; mais cette existence, elles la tiennent de l’Un qui est, ainsi, la cause créatrice de toute substance.

Pour les Néo-platoniciens, donc, rebelles en ce point à lenseignement d’Aristote, existence éternelle n’est point synonyme

  1. Aristotelis De generatione et corruptione lib. II, cap. XI (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 467 ; éd. Bekker, vol. I, p. 337, col. b, et p. 338, col. a).