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LA COSMOLOGIE DES PÈRES DE L’ÉGLISE

alors d’une heure et non d’un jour, et qu’il faudrait vingt-quatre telles révolutions pour faire un jour.

Le jour, ce ne peut être, non plus, l’ensemble de la révolution du Soleil et de sa durée. Alors, en effet, si le Soleil se mettait à tourner vingt-quatre fois plus vite, on ne pourrait plus appeler jour ni sa révolution nouvelle ni la durée de son ancienne revolution.

Le jour, ce n’est aucunement la révolution du Soleil ; c’est une durée, la durée qu’emploie maintenant cette révolution, mais qui pourrait demeurer la même, soit que le Soleil se mît à tourner plus vite, soit qu’il vînt à s’arrêter.

Le temps est donc quelque chose d’autre que le mouvement des corps[1]. Tout corps se meut dans le temps. C’est par le temps que nous mesurons le mouvement des corps, que nous disons si, de son commencement à sa fin, un mouvement a duré plus ou moins. De cela, Aristote fût tombé d’accord ; mais il eût ajouté que cette mesure réside en un certain mouvement, qu’elle est un attribut de ce mouvement. C’est ce que Saint Augustin ne lui concède pas ; le temps est si peu inhérent à un mouvement, qu’un même mouvement peut être reproduit avec des durées variables ; nous pouvons faire que la déclamation d’un même vers dure plus ou moins longtemps ; on ne peut donc pas dire qu’un mouvement donné « soit compris dans une mesure de temps déterminée ». Le temps n’est point lié aux mouvements des corps ; nous mesurons ces mouvements à l’aide de quelque chose qui réside ailleurs.

« Par là, il m’apparaît que le temps est une certaine extension. Mais extension de quoi ? Je l’ignore. Il serait étrange que ce ne fût pas de notre propre esprit. — Inde mihi visum est, nihil esse aliud tempus quam distentionem ; sed cujus rei, nescio ; et mirum si non ipsius animi. »

Où donc le temps existe-t-il ? C’est la question que cette phrase pose et dont elle fait entrevoir la réponse. Et cette question, à son tour, en suppose une autre : Le temps existe-t-il, et comment ?

« Ces deux temps[2], le passé et le futur, comment peuvent-ils exister, puisque le passé n’existe plus et que le futur n’existe pas encore ? Quant au présent, s’il était toujours présent, s’il ne devenait passé, il ne serait plus temps, mais éternité. Pour que le présent soit un temps, il faut que sa production consiste à se changer en passé (ideo fit quia in præteritum transit). Comment donc

  1. Saint Augustin, l. XI, ch. XXIV
  2. Saint Augustin, Confessions, l. XI, ch. XIV.