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LA COSMOLOGIE DES PÈRES DE L’ÉGLISE

n’existent pas et que les futurs n’existent pas davantage. Ce n’est pas s’exprimer avec propriété que dire : Trois temps existent, le passé, le présent et le futur. Mais peut-être pourrait-on dire proprement : Trois temps existent, le présent des choses passées, le présent des choses présentes, le présent des choses futures. Dans l’âme, en effet, voici les trois choses qui existent, et qu’ailleurs, je ne vois point : La mémoire présente des choses passées, la vue présente des choses présentes, l’attente présente des choses futures. Nec proprie dicitur : Tempora sunt tria, præteritum, præsens et futurum. Sed fortasse proprie diceretur : Tempora sunt tria, præsens de præteritis, præsens de præsentibus, præsens de futuris. Sunt enim hæc in anima tria quædam, et alibi ea non video : Præsens de præteritis memoria, præsens de præsentibus contuitus, præsens de futuris expectatio. »

C’est donc dans l’âme, et grâce à l’attention, que les trois sortes de temps reçoivent une existence véritable et persistante.

Ainsi s’explique la continuité du temps[1]. « Comment le futur peut-il diminuer et se consumer, puisqu’il n’existe pas encore ? Comment le passé peut-il croître, puisqu’il n’existe plus ? C’est l’esprit qui agit en cela, et cela se fait parce qu’il y a, en lui, ces trois opérations : Il attend, il fait attention, il se souvient. Par l’intermédiaire de ce à quoi il est attentif, se fait le passage de ce qu’il attend à ce dont il se souvient. Les choses futures n’existent pas, qui le nierait ? Déjà, cependant, l’attente des choses futures est dans l’esprit. Les choses passées n’existent plus, qui le nierait ? Toutefois, la mémoire des choses passées est encore dans l’esprit. Le temps présent manque d’étendue, il passe en un instant, qui le nierait ? Et cependant, elle dure d’une manière persistante, cette attention par l’intermédiaire de laquelle ce qui arrivera sera capable de poursuivre son cours dans ce qui a cessé d’être (Sed tamen perdurat attentio per quam pergat abesse quod aderit)…

» Je veux, par exemple, dire un psaume que je sais par cœur. Avant que je commence, mon attention s’étend au psaume tout entier. Une fois que j’ai commencé, tout ce que j’enlève à cette attente pour le mettre dans le passé vient s’étendre dans ma mémoire ; la vie de mon action s’étend donc à la fois sous forme de mémoire, à raison de ce que j’ai déjà dit, et sous forme d’attente, à raison de ce qui me reste à dire ; mais mon attention demeure présente (præsens adent''), et il faut que ce qui est à venir

  1. Saint Augustin, Confessions, l. XI, ch. XXVIII.