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L’ASTRONOMIE LATINE AU MOYEN ÂGE

la traverse pour devenir passé. Plus j’avance, et plus l’attente s’abrège, tandis que la mémoire s’allonge d’autant ; l’attente, enfin, est en entier consumée quand l’action, achevée, a passé tout entière dans la mémoire. »

L’existence et la continuité du temps sont donc œuvres de notre esprit qui peut, dans une même opération durable et persistante de l’attention, embrasser des choses passées et des choses à venir.

C’est de ce temps doué par notre esprit d’une existence véritable qu’on peut dire : il est long, ou bien : il est court.

« Le temps futur, qui n’existe pas, ne peut pas être long ; mais un long temps futur, c’est une longue attente de l’avenir. Le temps passé, qui n’est pas, n’est pas long non plus ; mais un long temps passé, c’est une longue mémoire du passé. »

C’est donc dans l’esprit, et dans l’esprit seulement, que le temps est mesurable[1].

« Ce vers latin :


Deus creator omnium,


est composé de huit syllabes qui sont alternativement brèves et longues. Chaque longue dure deux fois autant que chaque brève… Autant qu’une chose peut être manifeste aux sens, je mesure la syllabe brève au moyen de la syllabe longue, et je trouve que celle-ci prend deux fois autant de temps que celle-là. Mais elles résonnent l’une après l’autre ; si donc je prononce la brève d’abord et la longue ensuite, comment retiendrai-je la brève, et comment l’appliquerai-je sur la longue, à la façon d’une mesure, pour trouver que la longue la contient seulement deux fois ?… La longue elle-même, elle n’est pas présente lorsque je la mesure, car je ne la mesure pas avant qu’elle ne soit achevée. Où donc est la brève avec laquelle je mesure ? Où donc la longue, que je mesure ?… Ce que je mesure, ce n’est pas, dès lors, ces syllabes qui ne sont plus ; mais je mesure quelque chose qui est en ma mémoire, et qui y est fixe et permanent (sed aliquid in memoria mea metior quod infixum manet).

» C’est donc en toi, mon esprit, que je mesure les temps : L’impression que les choses font en toi lorsqu’elles passent, et qui demeure après qu’elles ont passé, c’est elle que je mesure alors qu’elle est présente, et non pas ces choses qui, pour produire cette impression, ont dû fuir dans le passé. Voilà ce que sont les durées (tempora), ou bien il faut dire que je ne mesure pas les durées. »

  1. Saint Augustin, Confessions, l. XI, ch. XXVII.